samedi 22 décembre 2012

Schizophrénie de la Commission européenne

Peut-être avez-vous lu comme moi les derniers chiffres publiés par Eurostat, la direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique. Interpellant. En un an, de 2010 à 2011, la pauvreté a progressé de 0,8% dans l’Union. On dénombre désormais 120 millions de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale, soit un quart de la population européenne (24,2 %). Avec des variantes suivant les pays, certes. La Bulgarie déplore 49 % de personnes précarisées, une sur deux ! La Belgique s’en sort «plutôt bien», avec 21 %, soit plus d’une personne sur cinq, et une augmentation de 0,2%. Pendant ce temps, la Commission européenne ambitionne toujours de (faire) respecter ses objectifs pour 2020: réduire de 20 millions (25 %) le nombre de personnes précarisées. Et cela, tout en diminuant drastiquement les budgets sociaux alloués à l’intégration sociale, comme on peut le lire dans l’article de Bart Vanhercke, Ramón Peña-Casas et Matthieu Paillet publié dans la revue Démocratie du 15 décembre dernier. Et tout en poursuivant aveuglément les politiques d’austérité budgétaire dans l’ensemble de la zone euro. Ces trois auteurs parlent de « schizophrénie » européenne. J’ignore s’ils sont diplômés en psychiatrie, mais je me demande si leur diagnostic ne devrait pas être étendu. Une récente étude a révélé qu’un Belge sur trois est exposé à un stress élevé au travail. Une proportion en constante progression, elle aussi. Ce qui n’empêche qu’on continue à nous imposer de travailler encore plus pour gagner toujours moins, tout en laissant de plus en plus de personnes sur le carreau du chômage et en enrichissant sans cesse quelques actionnaires nantis. Je ne suis pas psychiatre, c'est certain, mais à «schizophrénie», j’ajouterais... «hallucinatoire». Pas vous?

lundi 3 décembre 2012

Espagne: voir la vie en rétréci...

« Je vois la vie en rétréci », témoignait, il y a peu, une jeune mère de famille espagnole. Autrefois, elle aimait l’art, les musées. Aujourd’hui, elle a perdu son emploi. Elle se contente d’un café, tous les matins, avec sa mère qui tente de lui venir en aide.
Depuis la crise, des centaines de milliers d’Espagnols ont vu leur vie rétrécir de la sorte, souvent réduite à la seule survie. Le chômage frappe plus d’un actif sur quatre dans le pays. Et, depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2008, plus de 350.000 propriétaires ont été expulsés de leur logement dont ils ne parvenaient plus à payer les traites. La maison ou l’appartement, en Espagne, sont le socle de la famille. On ne s’y marie souvent qu’après avoir trouvé un toit. Ce qui explique que 83% des Espagnols sont propriétaires de leur habitation. Et ce qui a poussé deux personnes à se donner la mort peu avant l’arrivée des huissiers. Le 25 octobre, José Luis Domingo a été retrouvé pendu dans le sud du pays. Le 9 novembre, Amaya Egana, une ancienne élue socialiste s’est suicidée au Pays basque. Pour eux, il n’était pas possible de rétrécir la vie davantage. D’autres, comme cette mère de famille menacée d’expulsion qui a mis ses organes en vente sur internet, tentent de repousser les limites de la survie au-delà du supportable. Il a fallu ces drames et une vague d’indignation pour que les banques ibériques suspendent les expulsions. Tardif et court répit. Un bref répit, c’est ce qu’ont connu, chez nous aussi, 18 demandeurs d’asile déboutés. Faute de budget, les avions qui devaient les rapatrier en Albanie et en Grande-Bretagne sont restés cloués au sol. La crise peut aussi avoir du bon, serait-on tenté de sourire... Mais je ne sais pourquoi, cette fois, le sourire ne vient pas.

mercredi 14 novembre 2012

Ce si délicieux humour du gouvernement papillon

Novembre, le froid tombe, la grisaille s’installe, l’heure d’hiver nous plonge dans l’obscurité. Novembre, le mois de la déprime, est le moment idéal pour nous rappeler que les temps sont durs. Avec 4 milliards d’euros à trouver pour atteindre les objectifs européens de stabilité en 2013, le gouvernement fédéral en sait quelque chose. Pourtant, l’équipe d’Elio Di Rupo ne se laisse pas emporter par la morosité ambiante. On pourrait même dire que le gouvernement « papillon » fait preuve d’une bonne dose d’humour ces dernières semaines. Tenez, il a choisi la date du premier novembre, jour de Toussaint, veille de fête des morts, pour mettre en œuvre la dégressivité des allocations de chômage. Joli clin d’œil à ces milliers de demandeurs d’emploi qu’il espère encourager de la sorte à rechercher activement un travail alors même que le pays vient d’enregistrer un record de faillites. Depuis le début de l’année, 9.156 entreprises ont fermé leurs portes, ce qui a entraîné la suppression de près de 19.000 postes de travail. Tout aussi amusant, pour renflouer les caisses de l’État, l’équipe Di Rupo envisage une hausse de la TVA à 22 % ce qui, selon le secteur de la distribution, pourrait entraîner la perte de 4.500 emplois dans ce seul secteur, soit autant que le nombre de travailleurs de Ford Genk. Et on n’a pas fini de rire, puisque le gouvernement songe aussi à un saut d’index qui d’après la FGTB représenterait, sur une carrière complète et pour un salaire moyen, une perte sèche de 25.000 euros ! Comme quoi humour et bon goût ne vont pas toujours de pair. N’eût-il pas été de bon goût, par exemple, d’envisager une révision des intérêts notionnels, ou une taxation des plus-values en capital ? Même au fédéral, on ne peut pas rire de tout...

samedi 3 novembre 2012

Recette de chou farci au saumon et fromage de chèvre

Voici une recette que m'a inspiré le film de Christian Vincent, "les saveurs du palais", avec la délicieuse Catherine Frot. Il s'agit d'une adaptation très libre, et probablement bien moins goûteuse, de la recette originale de Danièle Mazet-Delpeuch, mais je la trouve à la fois légère, savoureuse et simple à préparer pour un effet très visuel. Bref, j'aime, ce qui me motive à la décrire ci-après. Commentaires et suggestions d'amélioration bienvenus, évidemment...

Prenez:
- un chou vert frisé, relativement petit,
- 300 grammes de saumon fumé en tranches,
- un bloc de fromage de chèvres frais, ou un bloc de Boursin aux herbes, suivant le goût,
- un oignon, une carotte, un bouquet garni, un cube de bouillon de poisson
- sel, poivre


Éliminez les feuilles extérieures du chou. Faites le blanchir en entier dans de l'eau bouillante où vous aurez ajouté du bicarbonate (blanchir deux fois quatre minutes d'affiliée pour le rendre plus digeste, m'apprend-on). Pour le blanchir à coeur, au bout d'une dizaine de minutes, enlevez les feuilles extérieures, puis replongez dix minutes dans l'eau.
Disposez une étamine dans un plat arrondi, en veillant à ce que votre étamine dépasse suffisamment pour pouvoir la nouer ensuite. Attention, si vous prenez un torchon, veillez à ce qu'il n'ait pas été lessivée avec un savon de lessive qui risquerait de donner son goût.
Détachez délicatement les feuilles du chou, en enlevant les bases fermes. Et tapissez le fond du plat d'une première couche de feuilles se chevauchant, de façon à pouvoir redonner la forme d'un chou.
Sur cette première couche, étalez un peu de fromage frais de chèvre. Poivrez et salez très légèrement (attention, le saumon fumé est déjà bien salé).
Disposez par-dessus les tranches de saumon, de façon à former une couche uniforme.
Tapissez d'une nouvelle couche de feuilles de chou et ainsi de suite jusqu'à remplir l'espace du plat.
Serrez bien l'étamine ensuite et nouez-la fermement en formant une boule.
Plongez l'étamine et son contenu dans un court-bouillon préparé avec l'oignon, la carotte, le bouquet garni et le bouillon de poisson. Laissez cuire à petite ébullition pendant 15 minutes, puis  retournez et laissez encore cuire dix minutes.
Défaites l'étamine et coupez délicatement en parts à disposer sur les assiettes.

Servez avec des pommes de terre nouvelles au persil, par exemple. Et quelques carottes en légumes.

mardi 23 octobre 2012

Voir Venise et... courir

Plus les jours passent et plus je me demande ce qui m'a pris de m'inscrire à ce fichu marathon de Venise, le 28 octobre prochain. Mes genoux aux cartilages qui se désagrègent ne me permettent pourtant plus ce genre d'aventure. Et je ne me suis pas entraîné sérieusement, emporté par les vagues plus ou moins festives de la vie et de ses désappointements. J'ai recommencé à piquer des cigarettes aux copains, j'ai enchaîné les matins de gueule de bois, et les nuits à guetter le sommeil. Mes coéquipiers m'ont répété que je ne suis pas assez sérieux. Une collègue a rêvé de moi paralysé pour plusieurs mois. Une amie m'a précisé que Venise est réputé le marathon le plus difficile. Une autre, pourtant férue de jogging, m'a traité de fou. Mon ancien chef, bête de compétition, vient de se faire opérer du genou. Mon osthéo a fait la grimace. Mon médecin m'a envoyé chez le cardiologue. Ma mère a fui en vacances à l'étranger. Et mon patron me fait des misères, mais ça, c'est une autre histoire. Plus la date fatidique approche, donc, plus l'angoisse monte. Et si mes genoux cèdent, et si mon coeur lâche, et si mes jambes se coupent, et si mon rêve se brise à quelques foulées de la ville romantique? Et si je devenais raisonnable, et si je n'avais plus de rêves, et si je renonçais à voir Venise et mourir? Alors, sans doute, je serais déjà mort.

lundi 1 octobre 2012

Depuis le temps que je n'avais plus allumé la télé...

Ça faisait un moment que je n'avais plus allumé la télévision. J'avais bien lu les programmes, en fin de mon journal, l'une ou l'autre fois. Et les avais refermés sans trop d'entrain, à chaque fois. Pas envie de regarder un film doublé, criard et violent, ou une série qui en est déjà à son vingt-huitième épisode de la septième saison, un talk-show dont le seul suspens sera de savoir qui dira le plus de mal des autres, un match de foot aux enjeux financiers décidément indécents, une télé crochet qui, malgré toutes mes tentatives, ne parvient pas à m'accrocher, un feuilleton français sirupeux et dégoulinant de bons sentiments, une télé réalité où tout est faux sauf le maquillage. Bref, écran plat ou pas (en l’occurrence), ça faisait donc un très long moment que je n'avais plus allumé la télévision. Et puis ce soir, rentré tôt, de bonne composition, le téléphone éteint, le repas presque prêt, je me suis offert de regarder le JT. Grand luxe ou retour à la civilisation, j'hésite encore sur la nature de ma démarche.
Reste que j'ai franchi le pas, prudent, certes, et dans un registre connu. Le JT est l'émission la plus regardée, et la plus critiquée, aussi, corollaire de son succès. Je pouvais m'y engager sans trop prendre de risque et avec tout le loisir d'exprimer ensuite mon (f)lot de critiques, colères, indignations, soupçons de partialité, de manque de déontologie, d'excès de populisme, d'amateurisme et d'autres mots en "isme", comme disait la chanson de l'Eurovision. Bref, j'étais prêt... et puis rien. Rien à redire d'un JT plutôt bien présenté, correctement équilibré, assez critique, pas trop racoleur, ni poujadisme, ni populiste, ni communiste, ni socialiste, ni capitaliste, ni écologiste, ni aucun mot en "iste". Bref, j'étais tout à coup prêt à garder la télé allumée toute la soirée... jusqu'à ce que le JT se referme sur un premier tunnel de publicité. Je vous passe les détails. J'ai craqué au troisième spot. J'ai éteint la télé. Et pour un bon moment, je le crains. C'est con.

mardi 18 septembre 2012

Bienvenue riche con

Bernard Arnault, la plus grosse fortune de France, le patron du luxe et de l'inutile, l'homme qui murmurait à l'oreille du président Sarkozy, Bernard Arnault donc veut devenir belge... tout en restant français. La nouvelle a fait l'effet d'une bombe, début septembre, en France, où Libé a osé titrer "Casse toi riche con!", comme en Belgique, où l'édito de La Libre affichait fièrement "Bienvenu, M. Arnault". On a beaucoup commenté la Une de Libé, l’estimant tantôt excessive, tantôt vulgaire ou partisane. On s’offusqua moins des éditos successifs de La Libre Belgique, pourtant autrement indécents. A l'heure où le débat sur les naturalisations se crispe sous la pression d'une droite qui veut même empêcher les familles de se regrouper par delà les frontières, il est choquant de se réjouir qu'un homme cumule les nationalités dans le seul but d'accumuler les milliards. Pour M. Arnault la Belgique n'est qu'un moyen, alors que pour des milliers de migrants elle est l'aboutissement d'une longue et douloureuse quête d'une vie digne. Sa demande de naturalisation est presque insultante. Loin de moi l'idée d'opposer le "mauvais riche" au "bon pauvre". Mais comparer, comme le fit la même Libre Belgique, ce milliardaire qui a largement usé des subventions publiques et des fermetures d'usines pour construire son empire à des "des entrepreneurs - des hommes et des femmes qui prennent des risques et créent de l’emploi dans notre pays" est d'une malhonnêteté intellectuelle inquiétante. La même malhonnêteté qui anime celles et ceux qui depuis des décennies dénoncent la rage taxatoire qui frapperait les entrepreneurs belges. De ce point de vue, merci M. Arnault. Votre démarche démontre au contraire que la Belgique est un paradis fiscal pour grosses fortunes. Peut-être ferez-vous avancer le débat malgré vous... Si c'est le cas, "Bienvenue riche con"!

lundi 27 août 2012

Le graffiti comme arme d’indignation

Du printemps arabe au printemps érable, de la place Tahrir à celle de Syntagma, des foules se forment, des poings se lèvent, des pouvoirs chancellent, parfois. Ce vent de révolte contre des régimes corrompus et les injustices du modèle capitaliste inspire une nouvelle génération d’artistes de "street art". Les graffitis sont repartis à l’assaut des villes et envahissent aussi le net, porteurs de nouveaux messages politiques, mais des mêmes éternelles aspirations à la liberté et la justice. Tour d’horizon, en quelques tags.


Si de tout temps l’homme a entaillé la pierre ou le bois pour y marquer sa trace, on situe souvent l’apparition du graffiti dans l’antiquité, en Grèce notamment, d’où nous sont parvenus quelques «pubs» pour prostituées, slogans politiques ou messages d’amour. C’est leur dimension clandestine qui donne à ces mots, à ces dessins, leur qualité de réels «graffitis», à l’inverse des peintures rupestres, par exemple, qui étaient peut-être voulues par l’ensemble de la communauté.
Clandestins, illégaux, rebelles, les graffitis ont proliféré dans les villes en périodes de tensions ou de crise: à la Révolution française, pendant la Seconde Guerre mondiale – avec le fameux V de la victoire proposé par l’ancien ministre belge Victor de Laveleye – sur les murs de Paris, à la Sorbone, en mai ’68 ou celui de Berlin, côté ouest s’entend, de 1961 à 1989.
Mais c’est aux États-Unis, à Philadelphie dès 1969 puis rapidement à New York que les graffitis se sont inscrits en polychromie dans la ville, à coups de bombes de peintures aérosol initialement destinées à la carrosserie. Ils furent d’abord « tags », simples signatures de jeunes des quartiers défavorisés qui voulaient signaler leur existence. Avec le mouvement hip-hop, ils se sont peu à peu complexifiés, calligraphiés, colorés, pour devenir fresques à part entière. Ils ont fleuri sur les rames de métro, pour circuler et être vus par le plus grand nombre, avant d’attaquer les murs des édifices et de subir dès 1972 une première répression organisée par le maire de New York. Les graffitis ont investi les galeries d’art dès 1980 aux côtés d’artistes comme Andy Warhol. Et sont apparus, à la même époque, sur les façades parisiennes, importés par des jeunes branchés des beaux quartiers. Il a fallu des mois pour qu’ils gagnent ensuite les banlieues et colorent les premières rames de métro parisien. Honnis par une bonne part de la population, traqués par la police, les «writers» comme disent les Américains, ou les « graffeurs » ont retrouvé du souffle au tournant du millénaire avec l’apparition de nouvelles bombes et de nouvelles techniques d’écriture. Mais leur second printemps pourrait bien être arabe, et replonger dans les racines du mouvement: la contestation politique.

 

Révolution graffiti

C’est en Tunisie que le vaste mouvement de protestation a pris naissance après que Mohamed Bouazizi, jeune vendeur ambulant, se fut immolé par le feu le 17 décembre 2010 devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Pourquoi là ? Sociologues et politologues auront à cœur d’identifier les causes. Reste que sur le plan de la contestation culturelle, la Tunisie était l’un des pays les plus en retrait de la région. Peu de bars, guère de scène alternative, et pas vraiment de tradition du graffiti, en dehors de quelques rares artistes underground et des célèbres tags que les supporters de foot peignaient sur les murs pour marquer leur territoire. « Je me suis toujours demandé pourquoi il n’y a pas de graffitis à Tunis! Pourquoi les murs sont ou bien sales ou bien blancs » s’interrogeait le blogueur Zizou from Djerba en 2005 (1). Six ans plus tard, les murs de la ville se sont trouvés littéralement repeints, sans aucune économie de couleurs. Les graffitis ont envahi toutes les surfaces et abordé toutes les thématiques : la dictature, bien entendu, mais aussi le chômage, l’isolement des jeunes, l’opposition entre laïcs et religieux. Et nombre de ces tags ont évolué vers des graffitis complexes et colorés, intégrant, comme on le verra dans d’autres pays arabes, des éléments de calligraphie arabesque qui leur donnent aujourd’hui leur originalité, et renforce l’intérêt des marchands d’art. Les partis politiques aussi ont suivi le mouvement, utilisant même des graffitis pendant la campagne électorale.
Photo au Caire - Stéphane Balme
En Égypte aussi, où le printemps s’est rapidement propagé, le «street art» était quasi inexistant sous Moubarak en dehors des noyaux durs de supporters de foot. Et en Égypte les graffitis s’y sont déployés aussi dès les premiers jours de la révolte. On garde en souvenir les tags audacieux que des manifestants peignaient sur les blindés arrêtés sur la place Tahrir au Caire. Certes, dans un premier temps, les militaires ont eu à cœur de recouvrir les tags du jour sous une couche de peinture blanche, mais les graffeurs étaient plus nombreux, plus inventifs, utilisant le pochoir pour travailler plus vite et reproduire leur message à l’envi. Et puis, les manifestants ont su mobiliser les réseaux sociaux. Photographiés à l’aide de téléphones portables, les graffitis ont circulé sur la toile, pour être vus par un maximum de personnes alors que souvent, par souci de sécurité, leurs auteurs restaient anonymes... un comble pour des graffeurs!
La prudence s’est même imposée comme condition de survie pour bien des graffeurs libyens. Fin mars 2011 en effet, Kais Ahmed Al-Hilali, lKAIS de son nom d’artiste, fut exécuté par les forces pro-Kadhafi dans la ville de Benghazi où il avait exécuté des caricatures de Mouammar Kadhafi. L’affaire fit grand bruit, jusque sur les antennes de CNN. Il est vrai que Kadhafi a été une source d’inspiration intarissable pour les graffeurs contestataires ; tantôt représenté en rat, tantôt en poulet, serpent, singe, Hitler, tortionnaire, ou... en Juif. Car on a dénombré de très nombreux tags antisémites dans les zones contrôlées par les rebelles libyens, révélateurs du climat raciste que le colonel avait fait régner dans le pays pendant des décennies, avant que des rumeurs courent sur sa propre ascendance. « L’art de la révolution de la rue reflète les courants sociaux qui datent d’avant le soulèvement » analysait très justement le New York Times (2). Reste que l’espoir constitue un autre fil rouge des tags libyens, pendant la révolte et bien après encore. Espoir, dans la ville sinistrée de Yefren où quelques habitants ont transformé les ruines de l’ancienne « maison du peuple » en musée de la liberté, dont les graffitis ornent les murs intérieurs et extérieurs. Et à Benghazi, où en novembre, Handicap international a lancé un concours de graffitis pour sensibiliser à l’utilisation des armes qui bien après les affrontements entre forces gouvernementales et rebelles ont continué à faire morts et blessés. À Tripoli, enfin, où en mars dernier, une première exposition consacrée au «street art» a été organisée à la galerie d’art Dar Al-Fagi, rassemblant quarante oeuvres et autant de messages de liberté et de démocratie.

 

Internet, un mur réel...

Si l’image a été un élément clé des révoltes arabes, c’est aussi parce qu’elle a connu cette formidable caisse de résonnance qu’est internet. Des bibliothèques virtuelles ont permis de faire connaître les messages de graffeurs bien au-delà des rues de Tunis ou des places du Caire. Et, à l’inverse, internet a aussi permis de mobiliser des graffeurs sur le terrain. L’histoire retiendra sans doute ces « semaines du graffiti » lancées à l’appel d’activistes et d’internautes. L’idée de consacrer sept jours aux graffitis a germé en Égypte en janvier dernier. L’initiative, appelée «la semaine du graffiti violent», se voulait radicale, motivée sans doute par une répression forte et une importante désillusion face aux élections. Un deuxième appel a été lancé début avril, à destination de l’Iran, sous le nom de «Mad graffiti week for Iran». Il s’agissait de soutenir les prisonniers politiques opposants à Mahmoud Ahmadinejad. Dans la foulée, les réseaux sociaux syriens ont lancé un troisième appel à une «semaine des graffitis de la liberté», à la fois en Syrie et dans l’ensemble du monde arabe. Plus pacifique, cette semaine du 14 au 21 avril ambitionnait d’opposer un message de paix aux discours belliqueux tenus par tous les camps du conflit syrien.

 

D’Athènes à Montréal

Ce dynamisme créatif a même réveillé les pavés et les murs de villes comme Athènes ou Montréal, pourtant héritières d’une plus longue tradition de «street art». À Montréal, la colère des étudiants contre la hausse du prix des études et le cynisme du gouvernement libéral est certes symbolisée par le carré rouge. Les manifestants le portent au revers pour dire qu’il seront « dans le rouge », tout en frappant sur des casseroles. Mais partout, on voit aussi resurgir les graffitis, et surtout des peintures au pochoir, appelant à la résistance, dénonçant les affres du capitalisme, réclamant l’ouverture des frontières. Le 23 mai dernier, des membres du collectif «No Borders» ont remplacé une centaine d’affiches publicitaires dans des bornes d’affichage par des oeuvres d’art et des messages en appui à la grève étudiante et à la justice migrante. Plus tôt, le collectif « Maille à part » s’est fait remarquer dans sa lutte anticapitaliste par l’habillage de différents lieux publics à l’aide de graffitis textiles ; une façon de revendiquer la démocratisation de l’art et de la culture. Car « attaquer l’éducation, c’est s’attaquer à la culture », rappelait l’union des artistes québécois dans une lettre de soutien aux étudiants grévistes (3).
Enfin Athènes, «berceau du graffiti», ne s’est jamais totalement départie, semble-t-il, de ce mode de contestation ancestral. L’occupation nazie puis le régime des Colonels dès 1967 ont ravivé la tradition. Et aujourd’hui chaque quartier de la ville offre ses spécificités, révèle ses propres artistes muraux. Au début de ce millénaire, pendant les années prospères, non contentes de fermer les yeux sur les graffitis illégaux, les autorités publiques sont allées jusqu’à commander de gigantesques fresques urbaines. Puis, en 2008, après les émeutes qui ont suivi la mort d’un adolescent tué par la police, les graffitis ont regagné de vigueur et de force politique. Le mouvement s’est accentué jusqu’aux grandes manifestations anti austérité qui se sont multipliées depuis mai 2010. Les styles et les supports ont explosé, passant du grinçant au burlesque, du pochoir au papier collé, sans oublier l’hyper-réalisme qui étale sur les murs l’objet emblématique de la lutte contre la police : le masque à gaz. Même l’un des artistes les plus connus, Sonkè, qui travaillait bien avant les grandes manifs, a vu ses célèbres silhouettes de femmes prendre des accents plus graves. Ses «princesses» ont perdu le goût du luxe.
En 2009, l’historien de la photographie, André Rouillé, mettait en garde contre l’entrée des graffitis dans les musées et sur le marché de l’art, passant d’une «esthétique du risque à une esthétique sans risque»(4). Pour lui, le graffiti a pour originalité d’être la seule création picturale dont le motif principal est la signature du peintre. Une signature par laquelle les jeunes new-yorkais disaient « j’existe » et à travers laquelle des artistes de renom ont écrit « ils ont le droit d’exister » sur les murs de la honte à Berlin ou en Palestine, comme le fit récemment le graffeur britannique Banksy à l’insu des caméras de surveillance et au mépris des détecteurs de mouvements israéliens. Banksy dont on a récemment signalé plusieurs oeuvres toutes fraîches sur les murs de Toronto, mettant notamment en scène... des policiers en uniformes.
Le graffiti perd-il son âme dès lors qu’il entre dans un musée ? Le débat n’est peut-être pas là. Peut-être le graffiti retrouve-t-il ses lettres de noblesse lorsqu’il exprime ce besoin d’exister, cette soif de liberté et de respect. L’avenir nous dira quelles seront ses prochaines sources d’inspiration.


4. André Rouillé, «Le graffiti, une pratique de soi», Paris Art, Édito n°291, mai 2009
Voir aussi ce qui se passe au Kenya

jeudi 23 août 2012

C’est pas beau le sport ?


C’est de bonne guerre. Des événements aussi importants que les Jeux olympiques, aussi retentissants, et fondés sur des valeurs si fortes que l’esprit sportif, la participation ou l’échange culturel sont de trop belles occasions de faire valoir l’une ou l’autre revendication, de dénoncer certains abus, de rappeler que le monde n’est pas aussi fair-play que le flegme britannique pourrait le laisser espérer.

"Le Parisien"
Il y eut donc, à la veille de l’ouverture des Olympiades 2012, les menaces de grève des douaniers et des cheminots londoniens. Il y eut l’écœurement des sidérurgistes et syndicalistes wallons après l’annonce que le patron d’Arcelor-Mittal, responsable de la fermeture des hauts fourneaux liégeois, porterait la flamme olympique de Kensington à Chelsea. Il y eut les dénonciations par des plates-formes comme achACT des conditions de travail inacceptables chez certains sous-traitants chinois, turcs ou indonésiens de sponsors officiels des jeux, comme Adidas, ou de la délégation belge, comme JBC. Et de la passivité du COIB. Il y eut aussi le désarroi des 3.500 athlètes musulmans tiraillés entre l’envie de gagner la compétition et l’obligation de respecter le jeûne du Ramadan. Il eut sans doute été trop compliqué de déplacer de quelques semaines les dates des Jeux entre Roland Garros, l’Euro 2012, Wimbledon, le Tour de France et les courses de formule 1... On me taxera peut-être de mauvais coucheur. On m’accusera à juste titre de n’apprécier que très modérément ces grands-messes où l’on exhibe autant le fric que le muscle. Allez, à mon tour d’être fair-play: cette année, et pour la première fois, le Qatar, le sultanat du Brunei et même l’Arabie saoudite ont envoyé des athlètes féminines aux JO. C’est pas beau le sport?

lundi 9 juillet 2012

Et si on mettait la voiture en vacances?

D’accord, tout le monde n’a pas la chance d’être en vacances pendant deux mois d’affilée en été. Mais bon! Pour des milliers de navetteurs, l’été, même sur la route du travail, c’est quand même un peu les vacances... Pensez donc ! D’après Bruxelles-Mobilité, le trafic automobile diminue de 20 % pendant juillet et août. Ça fait un cinquième de voitures en moins sur les grands axes vers la capitale. On comprend, à ce taux-là, que l’Agence flamande des routes, la Sofico wallonne ou Bruxelles-Mobilité choisissent l’été pour programmer les chantiers importants de rénovation de notre admirable réseau routier. Cet été ? La réfection du viaduc de Beez, du viaduc de Lavoir et de celui de Boirs sont en tête d’une trentaine de chantiers wallons qui ont débuté en juin déjà. Le viaduc de Vilvoorde en rénovation du 20 juin au 7 septembre sera le clou des travaux flamands, qui affecteront aussi Anvers et la E19. Et à Bruxelles, c’est florilège. Il y a la fermeture des tunnels Loi et Cinquantenaire, sans parler de la rénovation du tunnel du boulevard de la Woluwe, celle du viaduc Reyers, en ce compris le tunnel du même nom. J’en passe. Et puis, tous les dimanches d’été, la ville de Bruxelles a décidé que le boulevard Anspach sera temporairement fermé entre De Brouckère et Fontainas pour permettre des pique-niques urbains. Sans compter que désormais les cyclistes pourront brûler certains feux... Bref, cette année, l’été sur les routes belges risque de ressembler à tout, sauf à des vacances. Heureusement, selon l’Institut Belge pour la Sécurité Routière tout devrait rentrer dans l’ordre pour le dimanche 16 septembre: journée sans voiture. D’ici là, en voiture, en bus, en train, à vélo ou à pied, je vous souhaite quand même d’excellentes vacances ! Pour ce qui me concerne, ce sera vélo, comme tout au long de l'année, puis marche à pied...

mardi 12 juin 2012

«Facebook est gratuit...», mais le sera-t-il toujours?


Si vous faites partie des 900 millions de membres du célèbre réseau social, vous connaissez sûrement ce slogan rassurant: «Facebook est gratuit et le sera toujours». Vu l’attachement des internautes à la gratuité, cet avertissement en page d’accueil du site relève d’ailleurs du bon sens. Pour garantir cette gratuité, Facebook a surtout misé sur la publicité, ciblée en fonction du profil des utilisateurs, qui représente environ 85% de son chiffre d’affaires.
Car l’entreprise de Mark Zuckerberg n’a rien d’une oeuvre caritative. Elle affichait au dernier exercice un bénéfice net d’environ un milliard de dollars... ce qui l’a poussée vers Wall Street et le Nasdaq. Facebook est donc entré en bourse de New York le 18 mai dernier. Les jours précédents, les spéculations allaient bon train dans les milieux informés. On annonçait l’action à 35 ou 38 dollars et une valorisation à plus de 104 milliards de dollars au total... pour un service, rappelons-le, tout à fait virtuel. Un record certes, mais totalement déraisonnable. Sachant que Facebook affichait en 2011 un chiffre d’affaires de 3,7 milliards de dollars et en tablant sur le fait que ce chiffre doublerait tous les ans - ce qui est optimiste -  un journaliste du magazine «Fortune» a calculé qu’il faudrait 6 ans pour rentabiliser l’investissent. Complètement irrationnel, lorsque l’on se rappelle que les investisseurs veulent des retours élevés et surtout rapides. Pourtant, l’enthousiasme n’a pas faibli à la veille des premières cotations boursières, et le prix de départ du titre a bien été fixé à 38 dollars. Car dans le monde merveilleux de la finance débridée, on n’achète pas des actions parce qu’on pense que l’entreprise va décupler ses bénéfices, on investit si l’on croit qu’on trouvera quelqu’un prêt à racheter ces actions plus chères qu’on les a payées. On appelle cela de la spéculation. Spéculation qui contribue à gonfler des «bulles» prêtes à exploser au premier revers.
Ce revers, des spécialistes de l’économie du Net comme Jeffrey Cole ou Eric Jackson l’annoncent d’ici 5 à 8 ans. Lorsque Facebook et Google seront peut-être détrônés par des services mieux adaptés à la nouvelle configuration d’internet, pour les mobiles ou pour toute autre évolution. Mais Facebook vient de rassurer les spéculateurs en confirmant - outre le mariage très à propos de Mark Zuckerberg - que désormais il ferait payer ses utilisateurs qui veulent être «plus visibles» sur la toile. Voilà qui serait un sérieux coup de canif à la sacro-sainte gratuité du service. Et peut-être une grossière erreur. Car si les internautes sont prêts à supporter des fenêtres publicitaires plus ou moins intrusives en compensation de services gratuits, on imagine mal qu’ils seront prêts à payer «deux fois»: le service plus la publicité. Après tout, ce sont eux, leurs amis, et les amis de leurs amis qui constituent le formidable carnet d’adresses et la valeur ajoutée de Mark Zuckerberg...

mercredi 6 juin 2012

Ah bon! On peut choisir son orientation sexuelle ?

Qu’on l’apprécie ou pas, il faut admettre que Joëlle Milquet ne manque pas d’aplomb. Je me le disais au lendemain de la Belgian Pride qui avait rassemblé près de 70.000 personnes dans les rues de Bruxelles le 12 mai dernier. La ministre de l’Intérieur était invitée aux débats télé du dimanche pour parler d’homophobie après la mort violente d’Ihsane Jarfi.
Face à elle : un prêtre et un imam aux positions légèrement schizophréniques et cinq homos déterminés à faire entendre la voix de leur communauté meurtrie par ce drame. Force fut de constater que l’ancienne présidente du cdH n’a reculé devant aucune contradiction. Elle s’est réjouie du droit pour les couples du même sexe de se marier et d’adopter des enfants en omettant de rappeler que son parti s’était farouchement opposé à ces deux législations. Elle a expliqué que, n’étant plus présidente, elle ne savait pas si le cdH avait ou non soutenu la Pride de la veille. Ben tiens! Tout au long de l’émission, elle n’a eu de cesse de ramener les violences homophobes à toutes les violences nourries par le rejet de l’autre : des femmes, des étrangers, des personnes handicapées... Mais si la violence est la même pour tous, pourquoi Joëlle Milquet s’évertue-t-elle à faire des homos une catégorie à part en parlant de «choix» d’orientation sexuelle? Si on ne choisit ni son sexe, ni son lieu de naissance, ni son état de santé, on ne choisit pas non plus son orientation sexuelle... À force de ne vouloir déplaire à personne, Mme Milquet aura juste noyé le poisson. Au moins aura-t-elle assuré une présence féminine sur ce plateau de télévision désespérément masculin. Comme quoi, chez les homos comme chez les hétéros, l’égalité des chances et la mixité ne sont pas innées.

mercredi 30 mai 2012

Internet : cette (très) chère neutralité…

En novembre 2011, le Parlement européen a voté massivement une motion qui sonne comme un rappel à l’ordre. Le texte invite Neelie Kroes, Commissaire en charge de la Stratégie numérique, à agir rapidement en faveur de la neutralité d’Internet, lui reprochant un attentisme coupable. Pendant ce temps, les députés belges ont entamé diverses auditions en Commission des Communications, suite au dépôt de deux propositions de loi (PS et CD&V) visant à garantir « la neutralité du réseau » (1). Derrière ce concept un peu hermétique et nettement polémique se cache un réel enjeu démocratique.

À l’origine, il y eut l’Internet... ouvert. L’interconnexion de divers réseaux informatiques a permis à chaque utilisateur de recevoir et de diffuser tous les contenus de son choix, d’utiliser toutes les applications voulues et de connecter tous les équipements adéquats. «L’Internet ouvert renvoie ainsi à un espace qui n’est sous le contrôle d’aucun acteur en particulier…»(2). Grâce à cette ouverture du réseau des réseaux, nombre d’utilisateurs ont pu développer sans entrave ni autorisation les contenus et les services les plus divers et les proposer à l’ensemble des internautes. C’est ainsi qu’ont fleuri des acteurs devenus incontournables comme «Google» ou «Facebook» parmi un nombre incalculable d’innovations plus ou moins intéressantes, pertinentes, subversives.
Formidable lieu d’innovation économique donc, Internet est aussi, et peut-être avant tout, un extraordinaire espace d’expression politique, artistique, sociale, de tous ordres. Pour certains, l’apparition de la toile est une révolution aussi importante que l’invention de l’écriture qui a permis de transmettre les savoirs et celle de l’imprimerie qui les a diffusés. Internet permet non seulement d’échanger les savoirs instantanément, mais aussi d’en produire. Désormais, chacun a voix au chapitre. À condition de disposer des connaissances suffisantes et des moyens d’accès à la toile. À défaut, on déplore une fracture numérique (3).
Mais si le réseau est «ouvert», encore faut-il qu’il soit «neutre»; que chaque utilisateur et chaque fournisseur de service ait la garantie que l’information qu’il envoie arrivera sans entrave et inchangée à tous les récepteurs potentiels et inversement. Et c’est là que le bât blesse. Car les opérateurs techniques d’Internet, opérateurs de réseaux et fournisseurs d’accès, c’est à dire les entreprises qui gèrent la «tuyauterie», n’agissent pas nécessairement de façon neutre.

Trois types de menaces
Les menaces qui pèsent sur cette neutralité sont de trois types: commerciales, politiques et techniques.
1. Les logiques commerciales. En quelques années, l’économie Internet a explosé. Elle représente aujourd’hui environ 7% du PIB mondial et les spécialistes estiment qu’elle passera à 20% d’ici à une dizaine d’années (4). Vu les enjeux, la concurrence fait rage sur la toile et tous les coups semblent permis. Des protocoles de partage de fichiers (P2P) ou de voix se retrouvent purement et simplement bloqués. « Skype », pour ne citer que ce service, est souvent inaccessible depuis un téléphone mobile bénéficiant pourtant d’un abonnement soi-disant «Internet illimité»; les opérateurs téléphoniques n’appréciant que modérément la concurrence d’une téléphonie virtuelle gratuite. Des abonnés sont délibérément ralentis par des fournisseurs d’accès qui préfèrent donner la priorité à leurs clients les plus rémunérateurs. Comme cette offre «Vodafone» en Espagne qui réserve la priorité à ses clients 3G haut de gamme pendant les périodes de congestion. Des utilisateurs ne parviennent pas à se connecter aux sites concurrents du partenaire commercial de leur fournisseur d’accès(5). Face à cette tendance à brider et filtrer, de plus en plus de voix, même parmi les ardents défenseurs de la liberté totale sur la toile, se font entendre pour réclamer aux législateurs d’intervenir pour préserver la neutralité. Suivant les options en présence, cette intervention pourrait aller du simple renforcement de règles de transparence et d’information des consommateurs à l’interdiction de certaines pratiques.

2. Les motivations politiques. Mais le pouvoir public n’est pas toujours le meilleur garant de la neutralité du Net. On songe bien sûr aux coupures Internet opérées par le régime égyptien en janvier 2011 pour contrecarrer les manifestations anti-Moubarak. Aux censures imposées par la Chine depuis 2006 aux opérateurs qui veulent investir son marché. Au blocage des principales messageries par le gouvernement de Téhéran depuis la réélection contestée du président Ahmadinejad en 2009. Les régimes dits totalitaires sont souvent pointés. Mais des pratiques de censure existent aussi dans les démocraties occidentales, sous couvert de protection des droits d’auteurs, de lutte contre le terrorisme, ou de protection des mineurs, par exemple. Aux États-Unis, la fermeture brutale de «MegaUpload» le 19 janvier dernier par le FBI sur base de simples présomptions et avant toute intervention d’un juge pose question, quelles qu’en soient les motivations. Au point que même des Commissaires européens comme Viviane Reding ou Neelie Kroes qu’on ne peut qualifier de gauchistes radicales ont condamné cette précipitation. En Europe, d’autres exemples inquiètent. Ainsi en va-t-il de la fameuse loi « Hadopi » qui fit couler beaucoup d’encre en France. Cette législation vise principalement à mettre un terme aux partages de fichiers en «pair to pair» (P2P, un partage de fichier décentralisé d’ornidateur à ordinateur) lorsqu’ils enfreignent les droits d’auteurs. La loi repose sur le principe de riposte graduée du téléchargement illégal : avertissements divers jusqu’à la coupure de l’accès à Internet. Dans sa première mouture, le projet de loi prévoyait qu’une autorité indépendante, ladite Hadopi, mettrait en œuvre l’ensemble de ces sanctions. Mais le Conseil Constitutionnel a censuré la loi et transformé la sanction «ultime» en un renvoi vers un juge qui doit décider de la suite à donner. C’est désormais la justice qui tranche, gage d’un minimum d’indépendance et de respect des droits fondamentaux comme les garanties d’un procès équitable et le droit à la liberté d’expression. Reste que les techniques de filtrage indispensables à ce type de contrôle inquiètent. Qu’est-ce qui garantit en effet que ces techniques imposées aux fournisseurs d’accès pour des raisons aussi légitimes que la lutte contre la pornographie infantile, par exemple, ne soient pas un jour utilisées à d’autres fins ? La censure n’est jamais très loin. Quant au débat sur les droits d’auteurs et l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA), il mériterait un développement dont l’espace nous prive ici.

3. Les limitations techniques. L’augmentation du nombre d’internautes et du temps passé en ligne, la multiplication des services et des contenus offerts ainsi que celles des terminaux connectés et la croissance des besoins en débit de certaines applications et de la vidéo ont entraîné une progression de l’ordre de 50 % par an du trafic Internet (6). Et jusqu’à 100% par an pour l’Internet mobile. Cette explosion du volume du trafic fait craindre un risque de congestion, particulièrement sur les réseaux mobiles qui reposent sur l’utilisation d’une ressource rare: les fréquences. Pour y faire face, les opérateurs ont deux options: investir dans de nouvelles infrastructures (augmentation des capacités des réseaux mobiles et développement de la fibre optique) ou recourir à des mécanismes de gestion du trafic pour optimiser l’utilisation des ressources existantes. L’investissement massif pose la question du modèle économique d’Internet. Les grands opérateurs de réseaux comme France Télécom disent ne pas être en mesure d’investir les capitaux nécessaires à fournir les réseaux à large bande et à haut débit utiles, à moins de pouvoir créer de nouvelles sources de revenus provenant de la fourniture de contenus. En d’autres termes, ils veulent pouvoir facturer à leurs clients des frais supplémentaires pour l’accès à certaines applications(7) ou estiment que les opérateurs de services les plus gourmands en bande passante (YouTube, P2P) doivent contribuer à l’investissement. L’autre option est de recourir à des mécanismes de gestion du trafic pour optimiser l’utilisation des ressources existantes. Diverses technologies déjà en œuvre n’affectent guère la neutralité d’Internet dès lors qu’elles traitent le trafic de manière indifférenciée. Mais de nouvelles techniques posent davantage question. Ainsi, les méthodes qui analysent le contenu du trafic(8) et qui pourraient mettre en péril des principes fondamentaux comme la protection de la vie privée ou le secret de la correspondance. Enfin, permettre aux opérateurs de gérer les flux à leur guise comporte le risque de leur offrir la possibilité d’organiser la pénurie en fonction de leurs propres intérêts et accords commerciaux.
Difficile équilibre
L’Internet ne peut pas être un espace de non-droit. Si l’ouverture et la neutralité en sont des principes fondateurs, le respect de droits fondamentaux, à commencer par les droits de l’Homme, justifie une régulation minimale. Et si des contraintes techniques peuvent imposer la mise en place de mesures de gestion du trafic par exemple, elles doivent être aussi limitées que possible, appliquées de façon transparente et non discriminatoire(9). Mais plus on avance, moins la notion de neutralité se limite au seul acheminement des données. De nouvelles menaces guettent aux recoins de la toile. Ainsi, les moteurs de recherche jouent un rôle essentiel dans l’accès aux informations et services. La façon de référencer les sites revêt une importance primordiale si l’on considère, par exemple, que 61 % des internautes ne vont pas plus loin que la première page des résultats de recherche(10) et si l’on sait que plus de 91 % des recherches effectuées en France le sont sur le moteur Google(11). Dans un marché aussi concentré, comment s’assurer de l’objectivité des moteurs de recherche, sachant qu’ils concluent régulièrement des accords privilégiées avec d’autres opérateurs de services? Et qu’en sera-t-il demain de la neutralité sur les nouveaux terminaux comme les téléphones mobiles ou les téléviseurs connectés ? Des constructeurs de téléviseurs scellent des accords avec des fournisseurs de contenus audiovisuels qui prévoient parfois des clauses d’exclusivités, privant les utilisateurs d’un accès complet à Internet.
Sans doute faut-il légiférer sans tarder. Le monde virtuel évolue aussi vite que son miroir réel et l’univers n’y est pas moins impitoyable. Mais toute réglementation devra avant tout inscrire dans la loi, voire dans la constitution, le principe de neutralité. Le reste ne sera qu’exception et devra trouver le juste équilibre entre respect des droits fondamentaux et liberté indispensable à l’innovation et à l’expression, via par exemple, un scanning permanent mené par un observatoire de la neutralité d’Internet. En n’oubliant pas que si deux milliards d’êtres humains sont aujourd’hui connectés, cinq milliards d’autres personnes n’ont pas la chance de partager et d’enrichir les savoirs de l’humanité.

1. Propositions de loi du 17 mai 2011, déposée par Valérie Déom et consorts, et du 1er juin 2011, déposée par Jef Van den Bergh et consorts, modifiant la loi du 13 juin 2005, « relative aux communications électroniques en vue de garantir la neutralité des réseaux ».
2. «La neutralité de l’Internet. Un atout pour le développement de l’économie numérique», rapport du Gouvernement français au Parlement, 16 juillet 2010, p.5
3. Voir à ce sujet Périne Brotcorne, «Fracture numérique : lutter contre l’e-pauvreté», dans Démocratie, 01/09/2009.
4. ARCEP, communiqué du 30 septembre 2010, « Dix propositions et recommandations pour promouvoir un Internet neutre et de qualité.»
5. Plusieurs organisations de la société civile ont lancé une plate-forme en ligne permettant aux citoyens de mettre en évidence les restrictions d’accès imposées par les opérateurs: «RespectMyNet.eu».
6. «La neutralité de l’Internet...», op. cit., p. 13.
7. KPN, la compagnie néerlandaise de télécommunications voulait surfacturer l’accès à Skype, ce qui a motivé une des premières lois protégeant les principes de neutralité de l’Internet en Europe, selon le rapport CESE 1608/2011.
8. Comme les DIP, (Inspection des Paquets en Profondeur), qui servent notamment à détecter les spams.
9.Le BEREC, qui rassemble les régulateurs télécoms des pays de l’Union, analyse les pratiques des opérateurs de réseau afin de recommander à la Commission son action future. Ses résultats préliminaires révèlent l’ampleur du problème.
10. Selon une étude de Yahoo d’avril 2010.
11. Selon une étude d’AT Internet Institute de février 2009.

mardi 22 mai 2012

De vrais romans (pour apprendre) à lire

Voici trois romans, «Sans dire un mot» de Xavier Deutcsh, «L’attente» d’Amandine Fairon et «Les cerises de Salomon» de Claude Raucy, qui racontent des histoires fort différentes les unes des autres, mais qui ont pourtant bien des points en commun. Ils sont les oeuvres d’auteurs belges, lancent la nouvelle collection «La Traversée» des Éditions Weyrich et sont porteurs de bien des espoirs. Non pas qu’ils véhiculent des messages plus forts, universels et bouleversants que d’autres, mais parce qu’ils s’adressent à un public généralement délaissé par la littérature: les adultes en apprentissage de lecture et d’écriture.
Sollicités par «Lire et Ecrire Luxembourg» et les Éditions Weyrich, les trois auteurs précités ont confronté leur talent aux attentes, aux questions et aussi aux limites exprimées par un comité de lecture composé d’anciens analphabètes. Ils ont, surtout, accepté de tenir compte des remarques formulées; ils ont raccourci leurs phrases, simplifié leur vocabulaire, renoncé à certaines figures de style. Bref, ils ont fait oeuvre de grande modestie et de profond respect. Leurs trois romans ont été présentés à la Foire du Livre de Bruxelles début mars dernier, sans étiquette particulière. Car ces ouvrages ne sont pas réservés aux apprenants. Simplement, ils permettent à ces derniers de parfaire leur apprentissage de la lecture ailleurs que dans les livres pour enfants. Ce sont aussi de vrais romans, traitant de sujets intéressants, mais avec des mots plus simples, des phrases plus courtes, des chapitres plus brefs et des caractères plus grands. Quelques nuances donc, que les lecteurs habituels ne percevront peut-être même pas, comme en témoigne Amandine Fairon, mais qui pour les apprenants changent tout. Trois autres romans devraient être publiés l’an prochain, pour des apprenants moins avancés. Trois autres verront le jour en 2014. C’est en tout cas ce qu’on souhaite à cette très belle initiative.


Les ouvrages sont vendus au prix de 7,90 euros chacun. Infos: 061/27 94 30 - www.weyrich-edition.be.

samedi 19 mai 2012

Un "vrai travail"

Nous étions le 2 mai au petit matin. Je m’étais levé très tôt et je m’étais aussitôt connecté à mon réseau social préféré. Un ami français venait de publier une actualité qui me fit d’abord sourire: «Je ne sais pas si j’ai un vrai travail, écrivait-il, mais une chose est sûre, il est temps d’y aller...». Je savais qu’à cette heure-là il était déjà en route pour l’atelier, où il allait rester debout pendant huit longues heures, derrière une machine vibrante et bruyante, pour un salaire minimum pas si garanti que ça. Je me dis que mon ami français ne manquait pas d’humour. Lui qui avait travaillé à la chaîne pendant des années, puis repris des formations pour adultes pendant deux ans et bouffé autant de vaches enragées avant de trouver enfin cet emploi «rêvé»... C’est lui, pensais-je, que Nicolas Sarkozy aurait dû inviter le 1er mai au Trocadéro à sa «vraie fête» du «vrai travail».
C’est alors que m’a pris l’envie d’en savoir plus sur le «vrai travail» version président sortant. En surfant sur le net, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul. Des journalistes de l’excellent site d’information «Rue 89» avaient baladé une caméra au Trocadéro et demandé aux UMP ce qu’était, selon eux, «le faux travail». Question pertinente, à laquelle une dame très chic leur a répondu que c’est «les syndicats» et «ces gens qui profitent du RSA pour dormir». Cette dame très comme il faut parlait en connaissance de cause puisque lorsqu’on lui a demandé quel emploi elle exerce, elle a expliqué qu’elle travaille le verre et fait de la peinture sur toile. Mon ami français aussi fait de la peinture sur toile, mais uniquement après 20h ou le dimanche, quand il en a encore la force. C’est vraiment lui que Nicolas Sarkozy aurait dû inviter le 1er mai. Mais il aurait décliné l’invitation...

mercredi 18 avril 2012

"Ne comptez pas sur un Allemand pour faire une publicité subtile"

En ardent défenseur du service public, il m’arrive de surfer entre les tunnels publicitaires pour tenter d’écouter les émissions d’information et de divertissement de La Première radio. Un exercice volontariste à certaines heures, il faut bien le dire. Dernier exploit en date: ce matin même...
Pour parvenir à boucler le Tour d’Europe des quotidiens, une revue de presse qui a le mérite d’offrir un peu de recul, il m’a fallu traverser une succession de pubs aussi criardes qu’agaçantes à force de véhiculer les poncifs de la société de consommation, quand ce ne sont pas des stéréotypes limite racistes. «Ne comptez pas sur un Allemand pour faire une publicité subtile», nous conseille le constructeur Opel plusieurs fois par heure. Ben non tiens! On peut sûrement compter sur un Allemand pour construire une voiture solide, comme on peut se fier à un Suisse pour être à l’heure, ou attendre d’un noir qu’il soit en retard... Mais là, je dépasse les frontières du politiquement correct. Car si depuis soixante ans l’Europe peut rire des Allemands, comme depuis trop longtemps les Français s’amusent des p’tits Belges et depuis toujours les Juifs se moquent d’eux-mêmes, il y a des limites... Par exemple, il est désormais strictement interdit de ricaner du miracle économique allemand. Productivité, croissance, taux de chômage, le refrain est connu à travers l’Europe qui n’a de cesse de l’entonner. Il n’y a que dans la bonne ville de Bochum que la rengaine sonne faux, comme nous l’apprenait ce matin le fameux Tour d’Europe de la presse. C’est qu’Opel, le principal pourvoyeur d’emplois de Bochum, a renoncé à investir en Rhénanie-du-Nord-Westphalie pour mieux se déployer... en Corée. Pas très subtil, en effet... et finalement pas si solide que ça non plus.

mercredi 11 avril 2012

Informer, c’est aussi pouvoir renoncer

Nous sommes nombreux à avoir coupé le son au lendemain du drame de Sierre. Ou à en avoir eu la tentation. Éteindre la télé, refermer le journal. Car au-delà de l’émotion suscitée par la mort de vingt-deux enfants et de six adultes, comment ne pas être choqué par certaines pratiques médiatiques? Des journalistes qui harcèlent des témoins de l’accident de car et les familles des victimes. Des équipes télé qui escaladent les murs de l’école Sint-Lambertus d’Heverlee. Des reporters qui forcent la porte d’une chambre d’hôpital en Suisse. Et, nouveauté, des photos volées sur internet pour être publiées en «une» de journaux. Aucune émotion ne justifie de tels débordements. Et c’est lui manquer de respect de décréter a priori que le public demande des éditions spéciales débordant d’images choc, mais dépourvues d’informations pertinentes. Ces excès sont davantage motivés par la recherche de l’info exclusive et la terrible concurrence entre médias que par le souci d’informer. À l’occasion du jour de deuil national, que certains voulaient voir comme une réconciliation nationale, les radios et télévisions francophones s’étaient accordées pour renoncer à toute publicité sur leurs antennes.
Un dessin de Pierre Kroll que j'avais trouvé digne et fort
Beau geste de solidarité…  qui n’a pas empêché une chaîne de publier dans la foulée les chiffres d’audience de ses éditions spéciales consacrées au drame. Ça en dit long... Heureusement, au milieu de la tourmente médiatique, quelques voix se sont élevées. Le Premier ministre a appelé la presse à respecter la sphère privée des familles des victimes. La ministre flamande des Médias a dénoncé la publication de photos volées des enfants et de leurs proches. Le Conseil de déontologie journalistique a multiplié les prises de parole pour rappeler les règles élémentaires du métier. L’Avenir a publié une double page intitulée «Les journalistes vont-ils trop loin?». Le Soir a consacré un chat en ligne à la même question. Et nombre de chroniqueurs ont livré leurs analyses, où il était généralement question de respect, de distance critique et de valeur informative. La question a fait débat. Et on peut espérer que certaines rédactions s’en empareront. Car il y a urgence. Avec les nouvelles technologies, chaque internaute peut désormais s’improviser journaliste d’un jour; relayer l’information, l’image, l’émotion. Cela n’en fait pas un journaliste à part entière. La plus-value professionnelle, le garde-fou déontologique, le devoir du métier d’informer ne consistent-ils pas à sélectionner l’information? Et donc à pouvoir renoncer à certaines infos pour préserver intimité et dignité? Décider de ne pas publier les photos des victimes, ne pas programmer d’éditions spéciales ou ramener un peu de distance au milieu de l’émotion étaient des démarches journalistiques dignes de ce nom...

mardi 10 avril 2012

Mieux vaut brasser de la bière que des idées

Didier Bellens, le patron de Belgacom, a donc gagné 2,6 millions d’euros bruts en 2011. Un scandale! Unanimement dénoncé d’ailleurs par la classe politique belge. Ces petits gauchistes d’Ecolos ont rappelé qu’ils réclament depuis longtemps « des mesures fortes pour limiter les rémunérations et les avantages accordés aux patrons ». Le parti socialiste, en charge des entreprises publiques et auquel est d’ailleurs apparenté le CEO de Belgacom, a resservi sans sourciller ses anciennes propositions de lois visant notamment à ce que le salaire le plus élevé ne soit pas plus de 20 fois supérieur au salaire médian. Même le MR s’y est mis, estimant qu’il « n’est pas acceptable moralement et éthiquement, qu’un patron d’une entreprise publique, qui reçoit donc de l’argent du contribuable, touche un salaire 10 fois plus élevé que celui du Premier ministre ». Et la ministre MR des Classes moyennes a ajouté sur les ondes de La Première qu’avant de toucher aux salaires des patrons d’entreprises privées, il faut que les responsables d’entreprises publiques montrent l’exemple.
Mais c’est bien sûr ! Car en 2011, pendant que le patron de Belgacom accumulait près de 3 millions d’euros, celui de Volkswagen, l’Allemand Martin Winterkorn, ne gagnait que 17 malheureux petits millions et le boss du géant brassicole AB-Inbev, le Brésilien Carlos Britto, en grattait péniblement 135 millions de rien du tout... Résumons-nous : si Elio Di Rupo gagne 10 fois moins que Didier Bellens, lequel gagne 52 fois moins que Carlos Britto, le Premier ministre belge touche donc 520 fois moins que le patron d’AB-Inbev. Une chose est sûre, à ce tarif-là, il vaut mieux brasser de la bière que des idées. Et ce n’est pas Sabine Laruelle qui me contredira...

mercredi 4 avril 2012

"Pourquoi Jean-Michel Aphatie ne s’offrirait-il pas un stage avec de vrais journalistes de terrain?"

Ainsi donc le fils d'Eva Joly a remis à sa place Jean-Michel Aphatie, le chroniqueur politique de canal + et d'RTL, en lui suggérant un stage "avec de vrais journalistes de terrain"... Quel B.O.N.H.E.U.R.! Je n'ai rien, a priori contre Aphatie, ni contre les chroniqueurs politiques, parisiens ou non. Dans la mesure où ils font leur boulot. Mais est-ce du journalisme, même politique, d'annoncer en primeur que la candidate d'Europe Ecologie est hospitalisée, quand on en a été averti par pure politesse pour ne pas embarrasser une émission du lendemain et qu'on ne prend même pas le peine de vérifier l'information? Non, évidemment. Ce n'est pas du journalisme digne de ce nom, ce n'est même pas de la presse de caniveau, c'est juste indécent et anti-déontologique. Et qu'on relaie l'info sur un tweet, dans une gazette, sur les ondes d'une radio on les antennes d'une télé n'y change rien. Le journalisme est le même sur tous les supports, la déontologie ne souffre aucune exception. C'est à ce prix que le métier d'informer gardera ses lettres de noblesse et que la société dans son ensemble sera mieux armée pour rester distante, critique, indépendante, démocratique avec le beau projet émancipateur que cela implique. Or le pathétique épisode Aphatie, comme tant d'autres ces derniers mois, ces dernières années, est juste révélateur de la tendance inverse. L'info pertinente n'est plus celle qui résulte d'un travail d'enquête et qui nourrit une lecture pertinente des enjeux du vivre ensemble, elle est celle qui fera un buzz, des clics sur internet, des ventes, du bruit, du vent. Le danger n'est pas anodin, avec les nouvelles technologies et l'apogée d'une société du spectacle comme la prédisaient les situationnistes, de voire les règles s'étioler, la déontologie piétinée, l'info défigurée, la dignité humaine dégradée. C'est d'autant moins anodin que c'est sur ces bases là, sur ces ruines là plutôt, que se construisent et grandissent les totalitarismes. Que les donneurs de leçons des salons parisiens y pensent aujourd'hui, pour que demain ils puissent poursuivre leur travail de critique légitime sans avoir à le justifier.

mercredi 28 mars 2012

RTBF, le désamour?

Depuis début mars, les membres de la commission culture du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles auditionnent les acteurs du paysage audiovisuel. Leur motivation? Adopter des recommandations en vue de la négociation du nouveau contrat de gestion que la ministre de l’Audiovisuel doit conclure avec la RTBF d’ici la fin de l’année. Mais certains n’ont pas attendu cet exercice «démocratique» pour faire valoir leur point de vue. Le premier à ouvrir le feu fut le Conseil de la jeunesse. En septembre dernier, il rendait un avis d’initiative, réclamant notamment plus d’émissions pour jeunes ou d’éducation aux médias et l’interdiction des «placements de produits», technique publicitaire (sur)abondante dans «The Voice», par exemple. Quelques mois plus tard, Bernard Hennebert tire une deuxième salve en direction du boulevard Reyers, dans un ouvrage intitulé «RTBF, le désamour». Le fondateur de feu l’Association des téléspectateurs actifs (ATA) n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà consacré trois ouvrages à la radio télévision de service public. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a de la suite dans les idées, jusqu’à pratiquer l’autocitation avec un rien d’agaçante complaisance. Reste que ses constats interpellent.
Côté programmes, il déplore la disparition sans remplacement de certaines émissions de service aux consommateurs, de reportages ou médiation et dénonce le renvoi soit à des heures trop tardives soit sur la trop confidentielle troisième chaîne d’émissions culturelles ou à destination des jeunes. Côté pub, il s’inquiète de son emprise croissante sur les ondes et les antennes de la RTBF, que ce soit par le volume ou par l’évolution des techniques utilisées. Bernard Hennebert termine son ouvrage par dix propositions, allant de l’ouverture du CA à la société civile (et donc à lui?), jusqu’à la disparition d’ARTE Belgique (trop chère) ou la diminution de la pub (en commençant par la suppression du placement de produits). Des pistes à discuter, certes, mais qui ont le mérite d’éclairer un débat dont le public doit pouvoir se saisir faute d’être directement consulté...

Bernard Hennebert, «RTBF, le désamour. Constats et pistes d’évolution», Éditions Couleur Livres,2012.

mardi 13 mars 2012

Ruth, René, Fred, Berny... au bout du fil

J'ai passé ma soirée à "nettoyer" mon ancien smartphone. J'avais décidé de le donner à ma chère M. dont le téléphone portable rend l'onde. Il me fallait donc effacer mes contacts, déconnecter mes boîtes mails et surtout supprimer mes vieux sms. Vaste entreprise, car je voulais faire le tri. Certains messages me tenaient à coeur. J'avais l'intention de les sauvegarder comme on range sous un ruban de soie des lettres au cachet défait, au parfum éventé...

Je m'étais calé devant la télé et me faisais presqu'un plaisir à l'idée de remonter le temps, de faire défiler à l'envers tant de souvenirs déjà effacés de ma mémoire trop défaillante. Le plaisir fut de courte durée.
L'un des premiers contacts que je fus amené à supprimer était celui de Ruth A., ma grand-tante, décédée à quelques jours des 90 printemps qu'elle espérait tant fêter en famille à l'hôtel restaurant Lamm près de Waiblingen. Puis, au moment de transférer les photos sur mon ordinateur, je suis retombé sur quelques clichés volés lors de la mise en terre de mon oncle René dans ce si beau cimetière de Bruxelles où l'on a juste envie de s'asseoir comme sur les prés d'herbe fraîche. Et lorsque j'en vins aux sms, je me rendis compte que, inconsciemment, c'étaient ceux de Berny et de Fred que je voulais conserver, avant tout. Leurs derniers mots, légers ou graves, sans-doute abrégés, tapotés à la hâte sur un clavier simplifié, comme s'ils venaient de me les envoyer. Ce "vieux" smartphone avait à peine plus de deux ans et sa froide mémoire avait déjà vu s'effacer quatre de mes contacts parmi les plus chers. J'en fus glacé.
En l'espace de quelques instants, j'ai vu défiler les images de leurs funérailles, si récentes. Ce fut comme un apaisement, pourtant. J'ai eu la chance, pensai-je, de leur rendre un dernier hommage, d'arrêter mon temps pour honorer le leur. Et saluer au passage ce père que je n'ai pas pu mettre en bière autrefois. J'ai eu la chance, surtout, de mesurer l'amour qui les a accompagnés jusqu'au bout.
Je revois cette chapelle froide et claire au milieu de cimetière de Waiblingen. Le carrelage trop ciré, les pas trop mesurés, les larmes retenues, mais tant de bonté de ces personnes inconnues, ces compagnons de passages et de prière. J'entends encore, obsédant comme le ressac des vagues, l'hommage à Ostende de Ferré entonné par quelques amis comédiens et musiciens dans le cimetière de Bruxelles. Un concert improvisé entre les tombes, René aurait adoré. Je salue, avec infiniment de respect, le si fort et généreux sourire de la maman et de la soeur de Fred, accueillant comme un cadeau la belle et fragile C. que Fred avait tant aimée au crématorium d'Uccle. Je me souviens de cette église grise et bondée dans la Marais où le frère de Berny s'excusa presque de découvrir si tard la "vraie" famille du petit dernier parti si loin de Loyers, parti si tôt de nos vies.
J'ai fini par réinitialiser ce fichu téléphone. Je sais que M. l'utilisera moins pour relever ses mails professionnels que pour prendre des nouvelles de ses deux petits fils. Et j'en suis heureux. Comme je suis heureux d'avoir eu la chance de vous connaître, Liebe Tante Ruth, René, Fred, mon beau Benry, même si je vous ai si mal aimés, j'en ai peur.

jeudi 8 mars 2012

Chaque jour devrait être journée de la femme...

Mars avait commencé sous quelques rayons de soleil prometteurs, mais s’était vite ratatiné face à une nouvelle offensive hivernale mêlant neige et grisaille. C’est par un de ces matins frileux qu’une proche collègue de travail me fit remarquer comme un reproche – si, si – qu’une fois de plus que je n'avais pas consacré une ligne à la journée internationale de la femme, le 8 mars... J’alignai quelques arguments douteux, de mauvaise foi, voire carrément machistes, avant de me réfugier dans un silence mi-studieux mi-honteux. Cela valait mieux, me dis-je, attendant des jours meilleurs. Mais il semblait écrit que je ne m’en tirerais pas à si bon compte ce jour-là... Henri Goldman ne trouva pas meilleure date pour envoyer la dernière chronique qu’il venait de publier sur le blog de la revue «Politique» (http://blogs.politique.eu.org). Un texte intitulé «Le foulard et la barbe, une hypothèse». Et une hypothèse selon laquelle, pour faire très simple, nos sociétés occidentales s’acharnent contre le foulard islamique alors que personne n’ose s’attaquer à son «double masculin»: la barbe. L’auteur y voit la marque de la domination masculine – et nettement sexuée – sur l’espace public. La preuve en est selon lui que les femmes plus âgées portant le voile ne dérangent personne alors que les plus jeunes jettent le trouble derrière ce foulard qui apparaît comme un rempart aux désirs des hommes. Nombre de femmes lui sauront gré de mettre à jour les relents machistes que renferment trop de propos soi-disant émancipateurs. Mais aucune, j’en suis sûr, ne se satisfera de cette citation en forme de pirouette pour excuser mon oubli. Et dire que chaque jour devrait être journée de la femme...

mardi 28 février 2012

De si bons témoins

Le film que je regardais ce soir, au lieu de lire cet ouvrage sur la RTBF, c'est "Les témoins", d'André Téchiné. Je suis tombé dessus par hasard, sur la Deux, parce qu'il y avait Michel Blanc et que la Une était toute absorbée par la première retransmission en direct de "The Voice". Je n'avais même pas noté que le film était de Téchiné. Mais j'ai tout de suite accroché.
J'ai vite compris qu'il était question des premières années du sida. Et puis, il y avait les beaux yeux d'Emmanuelle Béart, et la belle gueule de Sami Bouajila, et puis un ton juste, et puis un rythme, et puis des vies, des gens sincères dans leurs contradictions, leurs lâchetés, leurs désirs; que des gens généreux qui essaient de vivre et ça fait mal. Bref, c'est con, mais au bout d'une demi heure, j'ai commencé à pleurer, sans doute parce que je savais déjà la fin, puis que j'ai pensé à Berny, puis que j'ai pensé à nos vies, à cette maladie qui nous pourrit tout depuis plus de trente ans, à nos difficultés à aimer, à nos envies de vouloir tout, tout de suite, à nos peurs, à nos infidélités, à nos égoïsmes aussi. Bref, je me suis dit que c'est pas tout d'être critique vis à vis des homos égoïstes, jeunistes, consuméristes, nihilistes, faishonistes et surtout insupportables. J'ai pensé que c'est bien, aussi, de se rappeler qui on est et ce qu'on surmonte et qu'aujourd'hui encore c'est difficile d'être différent, surtout lorsqu'il s'agit d'une différence aussi intime que la nôtre. Et c'est juste à ce moment là que j'ai eu envie de te prendre dans mes bras.

vendredi 17 février 2012

Bêtise, aveuglement ou… pire ?

Je m’étais récemment ému ici des vacheries que peuvent s’envoyer au visage responsables politiques et autres humoristes à la mode. Au risque de paraître obsessionnel, je dois avouer que je continue à m’interroger.

Il est vrai que la maison communale est fort accueillante... elle.
Par exemple, je ne comprends pas comment on a pu passer avec autant d’aisance du « politiquement correct » au « médiatiquement méchant ». En d’autres termes, comment se fait-il qu’on n’ose plus dire d’une personne qui ne voit pas qu’elle est aveugle, ce qui est un fait et n’ôte rien aux qualités de cette personne, mais qu’on se permet de dire d’un président de la République française qu’il est un « sale mec » ou d’un joueur de football qu’il n’a que trois neurones, ce qui reste encore à prouver ? Le doute m’étreint d’autant plus que depuis quelques jours je me demande dans quelle catégorie classer la députée-bourgmestre MR de Jurbise. Est-ce faire preuve d’aveuglement que de décréter que ses concitoyens n’ont pas besoin de logements sociaux? Ou est-ce de la bêtise pure de refuser des logements sociaux alors que les prix des locations flambent à cause de la proximité du Shape ? Et si ce n’était ni aveuglement ni débilité ? Et si Madame Galant avait simplement trouvé le moyen de se hisser au rang du président de la République française? Rejeter les pauvres de sa commune, n’est-ce pas un peu comme renvoyer les Roms dans les pays où ils sont opprimés ? En plus modeste, certes, en moins flamboyant. Mais le résultat est le même. Désigner un bouc émissaire reste le meilleur moyen de rassurer ses électeurs les plus égoïstes. Mais si Madame Galant n’est ni aveugle ni sotte; se pourrait-il qu’elle soit une... Non, vous ne me ferez pas dire ça.

samedi 4 février 2012

Et si Docteur House pouvait nous guérir?

C’est sûrement trop facile, mais une fois de plus je suis choqué par les médias – je sais, ce terme générique ne veut pas dire grand chose – et par l’incohérence à laquelle ils peuvent contribuer. Aujourd’hui, en dehors du froid et de la neige qui paralysent le pays, le «buzz» comme on dit, c’était ce téléspectateur qui a écrit à TF1 pour connaître l’adresse du docteur House afin de pouvoir le consulter. C’est dingue, en effet. Comment un pauvre garçon du fin fond de la France a-t-il pu prendre une fiction pour la réalité ? On s’étonne, on rigole, on se file l’info sur Facebook et l’on fait même tourner la copie du courrier du Monsieur à sa chaîne préférée. En personne n’a pris soin de masquer son nom et son adresse. Et ce Monsieur passera pour un con. Au village on ne manquera pas de le lui rappeler, avec toute la cruauté que cela implique. En attendant, personne ne se demande pourquoi ce téléspectateur, qui souffre sûrement dans sa chair depuis trop longtemps, en est arrivé à croire à un médecin de pacotille. Sans vouloir remette la médecine traditionnelle en cause, je ne peux m'empêcher de me demander si ce téléspectateur est très différent de toutes ces personnes bien pensantes qui se rabattent sur un guérisseur, un rebouteux, un diseur de bonnes recettes toutes faites après des mois ou des années de souffrances non calmées. Et pourquoi le blâmer lui qui espère soigner un mal, alors que personne ne s’interroge sur ces masses de jeunes qui rêvent, grâce à la même télévision, de devenir stars de la chanson ou du cinéma, au risque de se ridiculiser face caméras? Ces jeunes qui entendent au fond mettre un terme à leur vide intérieur... Où est la différence au fond ? La télé nous fait rêver, nous permet d’oublier nos maux, de nous évader. Elle ne s’en cache pas. Pourquoi ce Monsieur devrait-il être blâmé d’avoir cru, un instant, alors que tout était mis en place pour que cela advienne, que Docteur House pourrait soulager ses souffrances ? Heureux celui qui n’a jamais souffert. Plus heureux encore celui qui juge sans réfléchir. Je n'ai rien à dire sur ceux qui font souffrir par plaisir. Mieux vaut ne pas en parler.