Peut-être avez-vous lu comme moi les derniers chiffres publiés
par Eurostat, la direction générale de la Commission européenne chargée
de l’information statistique. Interpellant. En un an, de 2010 à 2011, la
pauvreté a progressé de 0,8% dans l’Union.
On dénombre désormais 120 millions de personnes menacées de pauvreté ou
d’exclusion sociale, soit un quart de la population européenne (24,2 %).
Avec des variantes suivant les pays, certes. La Bulgarie déplore 49 %
de personnes précarisées, une sur deux ! La Belgique s’en sort «plutôt
bien», avec 21 %, soit plus d’une personne sur cinq, et une
augmentation de 0,2%. Pendant ce temps, la Commission européenne
ambitionne toujours de (faire) respecter ses objectifs pour 2020:
réduire de 20 millions (25 %) le nombre de personnes précarisées. Et
cela, tout en diminuant drastiquement les budgets sociaux alloués à
l’intégration sociale, comme on peut le lire dans l’article de Bart
Vanhercke, Ramón Peña-Casas et Matthieu Paillet publié dans la revue Démocratie du 15 décembre dernier. Et tout
en poursuivant aveuglément les politiques d’austérité budgétaire dans
l’ensemble de la zone euro. Ces trois auteurs parlent de
« schizophrénie » européenne. J’ignore s’ils sont diplômés en
psychiatrie, mais je me demande si leur diagnostic ne devrait pas être
étendu. Une récente étude a révélé qu’un Belge sur trois est exposé à un
stress élevé au travail. Une proportion en constante progression, elle
aussi. Ce qui n’empêche qu’on continue à nous imposer de travailler
encore plus pour gagner toujours moins, tout en laissant de plus en plus
de personnes sur le carreau du chômage et en enrichissant sans cesse
quelques actionnaires nantis. Je ne suis pas psychiatre, c'est certain, mais à
«schizophrénie», j’ajouterais... «hallucinatoire». Pas vous?
samedi 22 décembre 2012
lundi 3 décembre 2012
Espagne: voir la vie en rétréci...
« Je vois la vie en rétréci », témoignait, il y a peu, une jeune mère de famille espagnole. Autrefois, elle aimait l’art, les musées. Aujourd’hui, elle a perdu son emploi. Elle se contente d’un café, tous les matins, avec sa mère qui tente de lui venir en aide.
Depuis la crise, des centaines de milliers d’Espagnols ont vu leur vie rétrécir de la sorte, souvent réduite à la seule survie. Le chômage frappe plus d’un actif sur quatre dans le pays. Et, depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2008, plus de 350.000 propriétaires ont été expulsés de leur logement dont ils ne parvenaient plus à payer les traites. La maison ou l’appartement, en Espagne, sont le socle de la famille. On ne s’y marie souvent qu’après avoir trouvé un toit. Ce qui explique que 83% des Espagnols sont propriétaires de leur habitation. Et ce qui a poussé deux personnes à se donner la mort peu avant l’arrivée des huissiers. Le 25 octobre, José Luis Domingo a été retrouvé pendu dans le sud du pays. Le 9 novembre, Amaya Egana, une ancienne élue socialiste s’est suicidée au Pays basque. Pour eux, il n’était pas possible de rétrécir la vie davantage. D’autres, comme cette mère de famille menacée d’expulsion qui a mis ses organes en vente sur internet, tentent de repousser les limites de la survie au-delà du supportable. Il a fallu ces drames et une vague d’indignation pour que les banques ibériques suspendent les expulsions. Tardif et court répit. Un bref répit, c’est ce qu’ont connu, chez nous aussi, 18 demandeurs d’asile déboutés. Faute de budget, les avions qui devaient les rapatrier en Albanie et en Grande-Bretagne sont restés cloués au sol. La crise peut aussi avoir du bon, serait-on tenté de sourire... Mais je ne sais pourquoi, cette fois, le sourire ne vient pas.
mercredi 14 novembre 2012
Ce si délicieux humour du gouvernement papillon
Novembre, le froid tombe, la grisaille s’installe, l’heure d’hiver nous plonge dans l’obscurité. Novembre, le mois de la déprime, est le moment idéal pour nous rappeler que les temps sont durs. Avec 4 milliards d’euros à trouver pour atteindre les objectifs européens de stabilité en 2013, le gouvernement fédéral en sait quelque chose. Pourtant, l’équipe d’Elio Di Rupo ne se laisse pas emporter par la morosité ambiante. On pourrait même dire que le gouvernement « papillon » fait preuve d’une bonne dose d’humour ces dernières semaines. Tenez, il a choisi la date du premier novembre, jour de Toussaint, veille de fête des morts, pour mettre en œuvre la dégressivité des allocations de chômage. Joli clin d’œil à ces milliers de demandeurs d’emploi qu’il espère encourager de la sorte à rechercher activement un travail alors même que le pays vient d’enregistrer un record de faillites. Depuis le début de l’année, 9.156 entreprises ont fermé leurs portes, ce qui a entraîné la suppression de près de 19.000 postes de travail. Tout aussi amusant, pour renflouer les caisses de l’État, l’équipe Di Rupo envisage une hausse de la TVA à 22 % ce qui, selon le secteur de la distribution, pourrait entraîner la perte de 4.500 emplois dans ce seul secteur, soit autant que le nombre de travailleurs de Ford Genk. Et on n’a pas fini de rire, puisque le gouvernement songe aussi à un saut d’index qui d’après la FGTB représenterait, sur une carrière complète et pour un salaire moyen, une perte sèche de 25.000 euros ! Comme quoi humour et bon goût ne vont pas toujours de pair. N’eût-il pas été de bon goût, par exemple, d’envisager une révision des intérêts notionnels, ou une taxation des plus-values en capital ? Même au fédéral, on ne peut pas rire de tout...
samedi 3 novembre 2012
Recette de chou farci au saumon et fromage de chèvre
Voici une recette que m'a inspiré le film de Christian Vincent, "les saveurs du palais", avec la délicieuse Catherine Frot. Il s'agit d'une adaptation très libre, et probablement bien moins goûteuse, de la recette originale de Danièle Mazet-Delpeuch, mais je la trouve à la fois légère, savoureuse et simple à préparer pour un effet très visuel. Bref, j'aime, ce qui me motive à la décrire ci-après. Commentaires et suggestions d'amélioration bienvenus, évidemment...
Prenez:
- un chou vert frisé, relativement petit,
- 300 grammes de saumon fumé en tranches,
- un bloc de fromage de chèvres frais, ou un bloc de Boursin aux herbes, suivant le goût,
- un oignon, une carotte, un bouquet garni, un cube de bouillon de poisson
- sel, poivre
Éliminez les feuilles extérieures du chou. Faites le blanchir en entier dans de l'eau bouillante où vous aurez ajouté du bicarbonate (blanchir deux fois quatre minutes d'affiliée pour le rendre plus digeste, m'apprend-on). Pour le blanchir à coeur, au bout d'une dizaine de minutes, enlevez les feuilles extérieures, puis replongez dix minutes dans l'eau.
Disposez une étamine dans un plat arrondi, en veillant à ce que votre étamine dépasse suffisamment pour pouvoir la nouer ensuite. Attention, si vous prenez un torchon, veillez à ce qu'il n'ait pas été lessivée avec un savon de lessive qui risquerait de donner son goût.
Détachez délicatement les feuilles du chou, en enlevant les bases fermes. Et tapissez le fond du plat d'une première couche de feuilles se chevauchant, de façon à pouvoir redonner la forme d'un chou.
Sur cette première couche, étalez un peu de fromage frais de chèvre. Poivrez et salez très légèrement (attention, le saumon fumé est déjà bien salé).
Disposez par-dessus les tranches de saumon, de façon à former une couche uniforme.
Tapissez d'une nouvelle couche de feuilles de chou et ainsi de suite jusqu'à remplir l'espace du plat.
Serrez bien l'étamine ensuite et nouez-la fermement en formant une boule.
Plongez l'étamine et son contenu dans un court-bouillon préparé avec l'oignon, la carotte, le bouquet garni et le bouillon de poisson. Laissez cuire à petite ébullition pendant 15 minutes, puis retournez et laissez encore cuire dix minutes.
Défaites l'étamine et coupez délicatement en parts à disposer sur les assiettes.
Servez avec des pommes de terre nouvelles au persil, par exemple. Et quelques carottes en légumes.
mardi 23 octobre 2012
Voir Venise et... courir
Plus les jours passent et plus je me demande ce qui m'a pris de m'inscrire à ce fichu marathon de Venise, le 28 octobre prochain. Mes genoux aux cartilages qui se désagrègent ne me permettent pourtant plus ce genre d'aventure. Et je ne me suis pas entraîné sérieusement, emporté par les vagues plus ou moins festives de la vie et de ses désappointements. J'ai recommencé à piquer des cigarettes aux copains, j'ai enchaîné les matins de gueule de bois, et les nuits à guetter le sommeil. Mes coéquipiers m'ont répété que je ne suis pas assez sérieux. Une collègue a rêvé de moi paralysé pour plusieurs mois. Une amie m'a précisé que Venise est réputé le marathon le plus difficile. Une autre, pourtant férue de jogging, m'a traité de fou. Mon ancien chef, bête de compétition, vient de se faire opérer du genou. Mon osthéo a fait la grimace. Mon médecin m'a envoyé chez le cardiologue. Ma mère a fui en vacances à l'étranger. Et mon patron me fait des misères, mais ça, c'est une autre histoire. Plus la date fatidique approche, donc, plus l'angoisse monte. Et si mes genoux cèdent, et si mon coeur lâche, et si mes jambes se coupent, et si mon rêve se brise à quelques foulées de la ville romantique? Et si je devenais raisonnable, et si je n'avais plus de rêves, et si je renonçais à voir Venise et mourir? Alors, sans doute, je serais déjà mort.
lundi 1 octobre 2012
Depuis le temps que je n'avais plus allumé la télé...
Ça faisait un moment que je n'avais plus allumé la télévision. J'avais bien lu les programmes, en fin de mon journal, l'une ou l'autre fois. Et les avais refermés sans trop d'entrain, à chaque fois. Pas envie de regarder un film doublé, criard et violent, ou une série qui en est déjà à son vingt-huitième épisode de la septième saison, un talk-show dont le seul suspens sera de savoir qui dira le plus de mal des autres, un match de foot aux enjeux financiers décidément indécents, une télé crochet qui, malgré toutes mes tentatives, ne parvient pas à m'accrocher, un feuilleton français sirupeux et dégoulinant de bons sentiments, une télé réalité où tout est faux sauf le maquillage. Bref, écran plat ou pas (en l’occurrence), ça faisait donc un très long moment que je n'avais plus allumé la télévision. Et puis ce soir, rentré tôt, de bonne composition, le téléphone éteint, le repas presque prêt, je me suis offert de regarder le JT. Grand luxe ou retour à la civilisation, j'hésite encore sur la nature de ma démarche.
Reste que j'ai franchi le pas, prudent, certes, et dans un registre connu. Le JT est l'émission la plus regardée, et la plus critiquée, aussi, corollaire de son succès. Je pouvais m'y engager sans trop prendre de risque et avec tout le loisir d'exprimer ensuite mon (f)lot de critiques, colères, indignations, soupçons de partialité, de manque de déontologie, d'excès de populisme, d'amateurisme et d'autres mots en "isme", comme disait la chanson de l'Eurovision. Bref, j'étais prêt... et puis rien. Rien à redire d'un JT plutôt bien présenté, correctement équilibré, assez critique, pas trop racoleur, ni poujadisme, ni populiste, ni communiste, ni socialiste, ni capitaliste, ni écologiste, ni aucun mot en "iste". Bref, j'étais tout à coup prêt à garder la télé allumée toute la soirée... jusqu'à ce que le JT se referme sur un premier tunnel de publicité. Je vous passe les détails. J'ai craqué au troisième spot. J'ai éteint la télé. Et pour un bon moment, je le crains. C'est con.
Reste que j'ai franchi le pas, prudent, certes, et dans un registre connu. Le JT est l'émission la plus regardée, et la plus critiquée, aussi, corollaire de son succès. Je pouvais m'y engager sans trop prendre de risque et avec tout le loisir d'exprimer ensuite mon (f)lot de critiques, colères, indignations, soupçons de partialité, de manque de déontologie, d'excès de populisme, d'amateurisme et d'autres mots en "isme", comme disait la chanson de l'Eurovision. Bref, j'étais prêt... et puis rien. Rien à redire d'un JT plutôt bien présenté, correctement équilibré, assez critique, pas trop racoleur, ni poujadisme, ni populiste, ni communiste, ni socialiste, ni capitaliste, ni écologiste, ni aucun mot en "iste". Bref, j'étais tout à coup prêt à garder la télé allumée toute la soirée... jusqu'à ce que le JT se referme sur un premier tunnel de publicité. Je vous passe les détails. J'ai craqué au troisième spot. J'ai éteint la télé. Et pour un bon moment, je le crains. C'est con.
mardi 18 septembre 2012
Bienvenue riche con
Bernard Arnault, la plus grosse fortune de France, le patron du luxe et de l'inutile, l'homme qui murmurait à l'oreille du président Sarkozy, Bernard Arnault donc veut devenir belge... tout en restant français. La nouvelle a fait l'effet d'une bombe, début septembre, en France, où Libé a osé titrer "Casse toi riche con!", comme en Belgique, où l'édito de La Libre affichait fièrement "Bienvenu, M. Arnault". On a beaucoup
commenté la Une de Libé, l’estimant tantôt excessive, tantôt vulgaire ou
partisane. On s’offusqua moins des éditos successifs de La Libre Belgique, pourtant
autrement indécents. A l'heure où le débat sur les naturalisations se crispe sous la pression d'une droite qui veut même empêcher les familles de se regrouper par delà les frontières, il est choquant de se réjouir qu'un homme cumule les nationalités dans le seul but d'accumuler les milliards. Pour M. Arnault la Belgique n'est qu'un moyen, alors que pour des milliers de migrants elle est l'aboutissement d'une longue et douloureuse quête d'une vie digne. Sa demande de naturalisation est presque insultante. Loin de moi l'idée d'opposer le "mauvais riche" au "bon pauvre". Mais comparer, comme le fit la même Libre Belgique, ce milliardaire qui a largement usé des subventions publiques et des fermetures d'usines pour construire son empire à des "des entrepreneurs - des hommes et des femmes qui prennent des risques et créent de l’emploi dans notre pays" est d'une malhonnêteté intellectuelle inquiétante. La même malhonnêteté qui anime celles et ceux qui depuis des décennies dénoncent la rage taxatoire qui frapperait les entrepreneurs belges. De ce point de vue, merci M. Arnault. Votre démarche démontre au contraire que la Belgique est un paradis fiscal pour grosses fortunes. Peut-être ferez-vous avancer le débat malgré vous... Si c'est le cas, "Bienvenue riche con"!
lundi 27 août 2012
Le graffiti comme arme d’indignation
Du printemps arabe au printemps érable, de la place Tahrir à celle de Syntagma, des foules se forment, des poings se lèvent, des pouvoirs chancellent, parfois. Ce vent de révolte contre des régimes corrompus et les injustices du modèle capitaliste inspire une nouvelle génération d’artistes de "street art". Les graffitis sont repartis à l’assaut des villes et envahissent aussi le net, porteurs de nouveaux messages politiques, mais des mêmes éternelles aspirations à la liberté et la justice. Tour d’horizon, en quelques tags.
Si de tout temps l’homme a entaillé la pierre ou le bois pour y marquer sa trace, on situe souvent l’apparition du graffiti dans l’antiquité, en Grèce notamment, d’où nous sont parvenus quelques «pubs» pour prostituées, slogans politiques ou messages d’amour. C’est leur dimension clandestine qui donne à ces mots, à ces dessins, leur qualité de réels «graffitis», à l’inverse des peintures rupestres, par exemple, qui étaient peut-être voulues par l’ensemble de la communauté.
Clandestins, illégaux, rebelles, les graffitis ont proliféré dans les villes en périodes de tensions ou de crise: à la Révolution française, pendant la Seconde Guerre mondiale – avec le fameux V de la victoire proposé par l’ancien ministre belge Victor de Laveleye – sur les murs de Paris, à la Sorbone, en mai ’68 ou celui de Berlin, côté ouest s’entend, de 1961 à 1989.
Mais c’est aux États-Unis, à Philadelphie dès 1969 puis rapidement à New York que les graffitis se sont inscrits en polychromie dans la ville, à coups de bombes de peintures aérosol initialement destinées à la carrosserie. Ils furent d’abord « tags », simples signatures de jeunes des quartiers défavorisés qui voulaient signaler leur existence. Avec le mouvement hip-hop, ils se sont peu à peu complexifiés, calligraphiés, colorés, pour devenir fresques à part entière. Ils ont fleuri sur les rames de métro, pour circuler et être vus par le plus grand nombre, avant d’attaquer les murs des édifices et de subir dès 1972 une première répression organisée par le maire de New York. Les graffitis ont investi les galeries d’art dès 1980 aux côtés d’artistes comme Andy Warhol. Et sont apparus, à la même époque, sur les façades parisiennes, importés par des jeunes branchés des beaux quartiers. Il a fallu des mois pour qu’ils gagnent ensuite les banlieues et colorent les premières rames de métro parisien. Honnis par une bonne part de la population, traqués par la police, les «writers» comme disent les Américains, ou les « graffeurs » ont retrouvé du souffle au tournant du millénaire avec l’apparition de nouvelles bombes et de nouvelles techniques d’écriture. Mais leur second printemps pourrait bien être arabe, et replonger dans les racines du mouvement: la contestation politique.
Révolution graffiti
C’est en Tunisie que le vaste mouvement de protestation a pris naissance après que Mohamed Bouazizi, jeune vendeur ambulant, se fut immolé par le feu le 17 décembre 2010 devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Pourquoi là ? Sociologues et politologues auront à cœur d’identifier les causes. Reste que sur le plan de la contestation culturelle, la Tunisie était l’un des pays les plus en retrait de la région. Peu de bars, guère de scène alternative, et pas vraiment de tradition du graffiti, en dehors de quelques rares artistes underground et des célèbres tags que les supporters de foot peignaient sur les murs pour marquer leur territoire. « Je me suis toujours demandé pourquoi il n’y a pas de graffitis à Tunis! Pourquoi les murs sont ou bien sales ou bien blancs » s’interrogeait le blogueur Zizou from Djerba en 2005 (1). Six ans plus tard, les murs de la ville se sont trouvés littéralement repeints, sans aucune économie de couleurs. Les graffitis ont envahi toutes les surfaces et abordé toutes les thématiques : la dictature, bien entendu, mais aussi le chômage, l’isolement des jeunes, l’opposition entre laïcs et religieux. Et nombre de ces tags ont évolué vers des graffitis complexes et colorés, intégrant, comme on le verra dans d’autres pays arabes, des éléments de calligraphie arabesque qui leur donnent aujourd’hui leur originalité, et renforce l’intérêt des marchands d’art. Les partis politiques aussi ont suivi le mouvement, utilisant même des graffitis pendant la campagne électorale.
Photo au Caire - Stéphane Balme |
La prudence s’est même imposée comme condition de survie pour bien des graffeurs libyens. Fin mars 2011 en effet, Kais Ahmed Al-Hilali, lKAIS de son nom d’artiste, fut exécuté par les forces pro-Kadhafi dans la ville de Benghazi où il avait exécuté des caricatures de Mouammar Kadhafi. L’affaire fit grand bruit, jusque sur les antennes de CNN. Il est vrai que Kadhafi a été une source d’inspiration intarissable pour les graffeurs contestataires ; tantôt représenté en rat, tantôt en poulet, serpent, singe, Hitler, tortionnaire, ou... en Juif. Car on a dénombré de très nombreux tags antisémites dans les zones contrôlées par les rebelles libyens, révélateurs du climat raciste que le colonel avait fait régner dans le pays pendant des décennies, avant que des rumeurs courent sur sa propre ascendance. « L’art de la révolution de la rue reflète les courants sociaux qui datent d’avant le soulèvement » analysait très justement le New York Times (2). Reste que l’espoir constitue un autre fil rouge des tags libyens, pendant la révolte et bien après encore. Espoir, dans la ville sinistrée de Yefren où quelques habitants ont transformé les ruines de l’ancienne « maison du peuple » en musée de la liberté, dont les graffitis ornent les murs intérieurs et extérieurs. Et à Benghazi, où en novembre, Handicap international a lancé un concours de graffitis pour sensibiliser à l’utilisation des armes qui bien après les affrontements entre forces gouvernementales et rebelles ont continué à faire morts et blessés. À Tripoli, enfin, où en mars dernier, une première exposition consacrée au «street art» a été organisée à la galerie d’art Dar Al-Fagi, rassemblant quarante oeuvres et autant de messages de liberté et de démocratie.
Internet, un mur réel...
Si l’image a été un élément clé des révoltes arabes, c’est aussi parce qu’elle a connu cette formidable caisse de résonnance qu’est internet. Des bibliothèques virtuelles ont permis de faire connaître les messages de graffeurs bien au-delà des rues de Tunis ou des places du Caire. Et, à l’inverse, internet a aussi permis de mobiliser des graffeurs sur le terrain. L’histoire retiendra sans doute ces « semaines du graffiti » lancées à l’appel d’activistes et d’internautes. L’idée de consacrer sept jours aux graffitis a germé en Égypte en janvier dernier. L’initiative, appelée «la semaine du graffiti violent», se voulait radicale, motivée sans doute par une répression forte et une importante désillusion face aux élections. Un deuxième appel a été lancé début avril, à destination de l’Iran, sous le nom de «Mad graffiti week for Iran». Il s’agissait de soutenir les prisonniers politiques opposants à Mahmoud Ahmadinejad. Dans la foulée, les réseaux sociaux syriens ont lancé un troisième appel à une «semaine des graffitis de la liberté», à la fois en Syrie et dans l’ensemble du monde arabe. Plus pacifique, cette semaine du 14 au 21 avril ambitionnait d’opposer un message de paix aux discours belliqueux tenus par tous les camps du conflit syrien.
D’Athènes à Montréal
Ce dynamisme créatif a même réveillé les pavés et les murs de villes comme Athènes ou Montréal, pourtant héritières d’une plus longue tradition de «street art». À Montréal, la colère des étudiants contre la hausse du prix des études et le cynisme du gouvernement libéral est certes symbolisée par le carré rouge. Les manifestants le portent au revers pour dire qu’il seront « dans le rouge », tout en frappant sur des casseroles. Mais partout, on voit aussi resurgir les graffitis, et surtout des peintures au pochoir, appelant à la résistance, dénonçant les affres du capitalisme, réclamant l’ouverture des frontières. Le 23 mai dernier, des membres du collectif «No Borders» ont remplacé une centaine d’affiches publicitaires dans des bornes d’affichage par des oeuvres d’art et des messages en appui à la grève étudiante et à la justice migrante. Plus tôt, le collectif « Maille à part » s’est fait remarquer dans sa lutte anticapitaliste par l’habillage de différents lieux publics à l’aide de graffitis textiles ; une façon de revendiquer la démocratisation de l’art et de la culture. Car « attaquer l’éducation, c’est s’attaquer à la culture », rappelait l’union des artistes québécois dans une lettre de soutien aux étudiants grévistes (3).
Enfin Athènes, «berceau du graffiti», ne s’est jamais totalement départie, semble-t-il, de ce mode de contestation ancestral. L’occupation nazie puis le régime des Colonels dès 1967 ont ravivé la tradition. Et aujourd’hui chaque quartier de la ville offre ses spécificités, révèle ses propres artistes muraux. Au début de ce millénaire, pendant les années prospères, non contentes de fermer les yeux sur les graffitis illégaux, les autorités publiques sont allées jusqu’à commander de gigantesques fresques urbaines. Puis, en 2008, après les émeutes qui ont suivi la mort d’un adolescent tué par la police, les graffitis ont regagné de vigueur et de force politique. Le mouvement s’est accentué jusqu’aux grandes manifestations anti austérité qui se sont multipliées depuis mai 2010. Les styles et les supports ont explosé, passant du grinçant au burlesque, du pochoir au papier collé, sans oublier l’hyper-réalisme qui étale sur les murs l’objet emblématique de la lutte contre la police : le masque à gaz. Même l’un des artistes les plus connus, Sonkè, qui travaillait bien avant les grandes manifs, a vu ses célèbres silhouettes de femmes prendre des accents plus graves. Ses «princesses» ont perdu le goût du luxe.
En 2009, l’historien de la photographie, André Rouillé, mettait en garde contre l’entrée des graffitis dans les musées et sur le marché de l’art, passant d’une «esthétique du risque à une esthétique sans risque»(4). Pour lui, le graffiti a pour originalité d’être la seule création picturale dont le motif principal est la signature du peintre. Une signature par laquelle les jeunes new-yorkais disaient « j’existe » et à travers laquelle des artistes de renom ont écrit « ils ont le droit d’exister » sur les murs de la honte à Berlin ou en Palestine, comme le fit récemment le graffeur britannique Banksy à l’insu des caméras de surveillance et au mépris des détecteurs de mouvements israéliens. Banksy dont on a récemment signalé plusieurs oeuvres toutes fraîches sur les murs de Toronto, mettant notamment en scène... des policiers en uniformes.
Le graffiti perd-il son âme dès lors qu’il entre dans un musée ? Le débat n’est peut-être pas là. Peut-être le graffiti retrouve-t-il ses lettres de noblesse lorsqu’il exprime ce besoin d’exister, cette soif de liberté et de respect. L’avenir nous dira quelles seront ses prochaines sources d’inspiration.
2. http://atwar.blogs.nytimes.com/2011/08/08/libyan-street-art-freedom-defiance-and-troubling-signs/
4. André Rouillé, «Le graffiti, une pratique de soi», Paris Art, Édito n°291, mai 2009
Voir aussi ce qui se passe au Kenya
Voir aussi ce qui se passe au Kenya
jeudi 23 août 2012
C’est pas beau le sport ?
C’est de bonne guerre. Des événements aussi importants que
les Jeux olympiques, aussi retentissants, et fondés sur des valeurs si fortes
que l’esprit sportif, la participation ou l’échange culturel sont de trop
belles occasions de faire valoir l’une ou l’autre revendication, de dénoncer
certains abus, de rappeler que le monde n’est pas aussi fair-play que le flegme
britannique pourrait le laisser espérer.
"Le Parisien" |
lundi 9 juillet 2012
Et si on mettait la voiture en vacances?
mardi 12 juin 2012
«Facebook est gratuit...», mais le sera-t-il toujours?
Si vous faites partie des 900 millions de membres du célèbre réseau social, vous connaissez sûrement ce slogan rassurant: «Facebook est gratuit et le sera toujours». Vu l’attachement des internautes à la gratuité, cet avertissement en page d’accueil du site relève d’ailleurs du bon sens. Pour garantir cette gratuité, Facebook a surtout misé sur la publicité, ciblée en fonction du profil des utilisateurs, qui représente environ 85% de son chiffre d’affaires.
Car l’entreprise de Mark Zuckerberg n’a rien d’une oeuvre caritative. Elle affichait au dernier exercice un bénéfice net d’environ un milliard de dollars... ce qui l’a poussée vers Wall Street et le Nasdaq. Facebook est donc entré en bourse de New York le 18 mai dernier. Les jours précédents, les spéculations allaient bon train dans les milieux informés. On annonçait l’action à 35 ou 38 dollars et une valorisation à plus de 104 milliards de dollars au total... pour un service, rappelons-le, tout à fait virtuel. Un record certes, mais totalement déraisonnable. Sachant que Facebook affichait en 2011 un chiffre d’affaires de 3,7 milliards de dollars et en tablant sur le fait que ce chiffre doublerait tous les ans - ce qui est optimiste - un journaliste du magazine «Fortune» a calculé qu’il faudrait 6 ans pour rentabiliser l’investissent. Complètement irrationnel, lorsque l’on se rappelle que les investisseurs veulent des retours élevés et surtout rapides. Pourtant, l’enthousiasme n’a pas faibli à la veille des premières cotations boursières, et le prix de départ du titre a bien été fixé à 38 dollars. Car dans le monde merveilleux de la finance débridée, on n’achète pas des actions parce qu’on pense que l’entreprise va décupler ses bénéfices, on investit si l’on croit qu’on trouvera quelqu’un prêt à racheter ces actions plus chères qu’on les a payées. On appelle cela de la spéculation. Spéculation qui contribue à gonfler des «bulles» prêtes à exploser au premier revers.
Ce revers, des spécialistes de l’économie du Net comme Jeffrey Cole ou Eric Jackson l’annoncent d’ici 5 à 8 ans. Lorsque Facebook et Google seront peut-être détrônés par des services mieux adaptés à la nouvelle configuration d’internet, pour les mobiles ou pour toute autre évolution. Mais Facebook vient de rassurer les spéculateurs en confirmant - outre le mariage très à propos de Mark Zuckerberg - que désormais il ferait payer ses utilisateurs qui veulent être «plus visibles» sur la toile. Voilà qui serait un sérieux coup de canif à la sacro-sainte gratuité du service. Et peut-être une grossière erreur. Car si les internautes sont prêts à supporter des fenêtres publicitaires plus ou moins intrusives en compensation de services gratuits, on imagine mal qu’ils seront prêts à payer «deux fois»: le service plus la publicité. Après tout, ce sont eux, leurs amis, et les amis de leurs amis qui constituent le formidable carnet d’adresses et la valeur ajoutée de Mark Zuckerberg...
mercredi 6 juin 2012
Ah bon! On peut choisir son orientation sexuelle ?
Qu’on l’apprécie ou pas, il faut admettre que Joëlle Milquet ne manque pas d’aplomb. Je me le disais au lendemain de la Belgian Pride qui avait rassemblé près de 70.000 personnes dans les rues de Bruxelles le 12 mai dernier. La ministre de l’Intérieur était invitée aux débats télé du dimanche pour parler d’homophobie après la mort violente d’Ihsane Jarfi.
Face à elle : un prêtre et un imam aux positions légèrement schizophréniques et cinq homos déterminés à faire entendre la voix de leur communauté meurtrie par ce drame. Force fut de constater que l’ancienne présidente du cdH n’a reculé devant aucune contradiction. Elle s’est réjouie du droit pour les couples du même sexe de se marier et d’adopter des enfants en omettant de rappeler que son parti s’était farouchement opposé à ces deux législations. Elle a expliqué que, n’étant plus présidente, elle ne savait pas si le cdH avait ou non soutenu la Pride de la veille. Ben tiens! Tout au long de l’émission, elle n’a eu de cesse de ramener les violences homophobes à toutes les violences nourries par le rejet de l’autre : des femmes, des étrangers, des personnes handicapées... Mais si la violence est la même pour tous, pourquoi Joëlle Milquet s’évertue-t-elle à faire des homos une catégorie à part en parlant de «choix» d’orientation sexuelle? Si on ne choisit ni son sexe, ni son lieu de naissance, ni son état de santé, on ne choisit pas non plus son orientation sexuelle... À force de ne vouloir déplaire à personne, Mme Milquet aura juste noyé le poisson. Au moins aura-t-elle assuré une présence féminine sur ce plateau de télévision désespérément masculin. Comme quoi, chez les homos comme chez les hétéros, l’égalité des chances et la mixité ne sont pas innées.
mercredi 30 mai 2012
Internet : cette (très) chère neutralité…
En novembre 2011, le Parlement européen a voté massivement une
motion qui sonne comme un rappel à l’ordre. Le texte invite Neelie
Kroes, Commissaire en charge de la Stratégie numérique, à agir
rapidement en faveur de la neutralité d’Internet, lui reprochant un
attentisme coupable. Pendant ce temps, les députés belges ont entamé
diverses auditions en Commission des Communications, suite au dépôt de
deux propositions de loi (PS et CD&V) visant à garantir « la
neutralité du réseau » (1). Derrière ce concept un peu hermétique et
nettement polémique se cache un réel enjeu démocratique.
À l’origine, il y eut l’Internet... ouvert. L’interconnexion de divers
réseaux informatiques a permis à chaque utilisateur de recevoir et de
diffuser tous les contenus de son choix, d’utiliser toutes les
applications voulues et de connecter tous les équipements adéquats.
«L’Internet ouvert renvoie ainsi à un espace qui n’est sous le contrôle
d’aucun acteur en particulier…»(2). Grâce à cette ouverture du réseau
des réseaux, nombre d’utilisateurs ont pu développer sans entrave ni
autorisation les contenus et les services les plus divers et les
proposer à l’ensemble des internautes. C’est ainsi qu’ont fleuri des
acteurs devenus incontournables comme «Google» ou «Facebook» parmi
un nombre incalculable d’innovations plus ou moins intéressantes,
pertinentes, subversives.
Formidable lieu d’innovation économique donc, Internet est aussi, et
peut-être avant tout, un extraordinaire espace d’expression politique,
artistique, sociale, de tous ordres. Pour certains, l’apparition de la
toile est une révolution aussi importante que l’invention de l’écriture
qui a permis de transmettre les savoirs et celle de l’imprimerie qui les
a diffusés. Internet permet non seulement d’échanger les savoirs
instantanément, mais aussi d’en produire. Désormais, chacun a voix au
chapitre. À condition de disposer des connaissances suffisantes et des
moyens d’accès à la toile. À défaut, on déplore une fracture
numérique (3).
Mais si le réseau est «ouvert», encore faut-il qu’il
soit «neutre»; que chaque utilisateur et chaque fournisseur de
service ait la garantie que l’information qu’il envoie arrivera sans
entrave et inchangée à tous les récepteurs potentiels et inversement. Et
c’est là que le bât blesse. Car les opérateurs techniques d’Internet,
opérateurs de réseaux et fournisseurs d’accès, c’est à dire les
entreprises qui gèrent la «tuyauterie», n’agissent pas nécessairement de
façon neutre.
Trois types de menaces
Les menaces qui pèsent sur cette neutralité sont de trois types: commerciales, politiques et techniques.
1. Les logiques commerciales. En quelques années, l’économie Internet a
explosé. Elle représente aujourd’hui environ 7% du PIB mondial et les
spécialistes estiment qu’elle passera à 20% d’ici à une dizaine
d’années (4). Vu les enjeux, la concurrence fait rage sur la toile et
tous les coups semblent permis. Des protocoles de partage de fichiers
(P2P) ou de voix se retrouvent purement et simplement bloqués.
« Skype », pour ne citer que ce service, est souvent inaccessible depuis
un téléphone mobile bénéficiant pourtant d’un abonnement soi-disant
«Internet illimité»; les opérateurs téléphoniques n’appréciant que
modérément la concurrence d’une téléphonie virtuelle gratuite. Des
abonnés sont délibérément ralentis par des fournisseurs d’accès qui
préfèrent donner la priorité à leurs clients les plus rémunérateurs.
Comme cette offre «Vodafone» en Espagne qui réserve la priorité à ses
clients 3G haut de gamme pendant les périodes de congestion. Des
utilisateurs ne parviennent pas à se connecter aux sites concurrents du
partenaire commercial de leur fournisseur d’accès(5). Face à cette
tendance à brider et filtrer, de plus en plus de voix, même parmi les
ardents défenseurs de la liberté totale sur la toile, se font entendre
pour réclamer aux législateurs d’intervenir pour préserver la
neutralité. Suivant les options en présence, cette intervention pourrait
aller du simple renforcement de règles de transparence et d’information
des consommateurs à l’interdiction de certaines pratiques.
2. Les motivations politiques. Mais le pouvoir public n’est pas toujours
le meilleur garant de la neutralité du Net. On songe bien sûr aux
coupures Internet opérées par le régime égyptien en janvier 2011 pour
contrecarrer les manifestations anti-Moubarak. Aux censures imposées par
la Chine depuis 2006 aux opérateurs qui veulent investir son marché. Au
blocage des principales messageries par le gouvernement de Téhéran
depuis la réélection contestée du président Ahmadinejad en 2009. Les
régimes dits totalitaires sont souvent pointés. Mais des pratiques de
censure existent aussi dans les démocraties occidentales, sous couvert
de protection des droits d’auteurs, de lutte contre le terrorisme, ou de
protection des mineurs, par exemple. Aux États-Unis, la fermeture
brutale de «MegaUpload» le 19 janvier dernier par le FBI sur base de
simples présomptions et avant toute intervention d’un juge pose
question, quelles qu’en soient les motivations. Au point que même des
Commissaires européens comme Viviane Reding ou Neelie Kroes qu’on ne
peut qualifier de gauchistes radicales ont condamné cette précipitation.
En Europe, d’autres exemples inquiètent. Ainsi en va-t-il de la fameuse
loi « Hadopi » qui fit couler beaucoup d’encre en France. Cette
législation vise principalement à mettre un terme aux partages de
fichiers en «pair to pair» (P2P, un partage de fichier décentralisé
d’ornidateur à ordinateur) lorsqu’ils enfreignent les droits d’auteurs.
La loi repose sur le principe de riposte graduée du téléchargement
illégal : avertissements divers jusqu’à la coupure de l’accès à
Internet. Dans sa première mouture, le projet de loi prévoyait qu’une
autorité indépendante, ladite Hadopi, mettrait en œuvre l’ensemble de
ces sanctions. Mais le Conseil Constitutionnel a censuré la loi et
transformé la sanction «ultime» en un renvoi vers un juge qui doit
décider de la suite à donner. C’est désormais la justice qui tranche,
gage d’un minimum d’indépendance et de respect des droits fondamentaux
comme les garanties d’un procès équitable et le droit à la liberté
d’expression. Reste que les techniques de filtrage indispensables à ce
type de contrôle inquiètent. Qu’est-ce qui garantit en effet que ces
techniques imposées aux fournisseurs d’accès pour des raisons aussi
légitimes que la lutte contre la pornographie infantile, par exemple, ne
soient pas un jour utilisées à d’autres fins ? La censure n’est jamais
très loin. Quant au débat sur les droits d’auteurs et l’Accord
Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA), il mériterait un développement dont
l’espace nous prive ici.
3. Les limitations techniques. L’augmentation du nombre d’internautes et
du temps passé en ligne, la multiplication des services et des contenus
offerts ainsi que celles des terminaux connectés et la croissance des
besoins en débit de certaines applications et de la vidéo ont entraîné
une progression de l’ordre de 50 % par an du trafic Internet (6). Et
jusqu’à 100% par an pour l’Internet mobile. Cette explosion du volume
du trafic fait craindre un risque de congestion, particulièrement sur
les réseaux mobiles qui reposent sur l’utilisation d’une ressource
rare: les fréquences. Pour y faire face, les opérateurs ont deux
options: investir dans de nouvelles infrastructures (augmentation des
capacités des réseaux mobiles et développement de la fibre optique) ou
recourir à des mécanismes de gestion du trafic pour optimiser
l’utilisation des ressources existantes. L’investissement massif pose la
question du modèle économique d’Internet. Les grands opérateurs de
réseaux comme France Télécom disent ne pas être en mesure d’investir les
capitaux nécessaires à fournir les réseaux à large bande et à haut
débit utiles, à moins de pouvoir créer de nouvelles sources de revenus
provenant de la fourniture de contenus. En d’autres termes, ils veulent
pouvoir facturer à leurs clients des frais supplémentaires pour l’accès à
certaines applications(7) ou estiment que les opérateurs de services
les plus gourmands en bande passante (YouTube, P2P) doivent contribuer à
l’investissement. L’autre option est de recourir à des mécanismes de
gestion du trafic pour optimiser l’utilisation des ressources
existantes. Diverses technologies déjà en œuvre n’affectent guère la
neutralité d’Internet dès lors qu’elles traitent le trafic de manière
indifférenciée. Mais de nouvelles techniques posent davantage question.
Ainsi, les méthodes qui analysent le contenu du trafic(8) et qui
pourraient mettre en péril des principes fondamentaux comme la
protection de la vie privée ou le secret de la correspondance. Enfin,
permettre aux opérateurs de gérer les flux à leur guise comporte le
risque de leur offrir la possibilité d’organiser la pénurie en fonction
de leurs propres intérêts et accords commerciaux.
L’Internet ne peut pas être un espace de non-droit. Si l’ouverture et la
neutralité en sont des principes fondateurs, le respect de droits
fondamentaux, à commencer par les droits de l’Homme, justifie une
régulation minimale. Et si des contraintes techniques peuvent imposer la
mise en place de mesures de gestion du trafic par exemple, elles
doivent être aussi limitées que possible, appliquées de façon
transparente et non discriminatoire(9). Mais plus on avance, moins la
notion de neutralité se limite au seul acheminement des données. De
nouvelles menaces guettent aux recoins de la toile. Ainsi, les moteurs
de recherche jouent un rôle essentiel dans l’accès aux informations et
services. La façon de référencer les sites revêt une importance
primordiale si l’on considère, par exemple, que 61 % des internautes ne
vont pas plus loin que la première page des résultats de recherche(10)
et si l’on sait que plus de 91 % des recherches effectuées en France le
sont sur le moteur Google(11). Dans un marché aussi concentré, comment
s’assurer de l’objectivité des moteurs de recherche, sachant qu’ils
concluent régulièrement des accords privilégiées avec d’autres
opérateurs de services? Et qu’en sera-t-il demain de la neutralité sur
les nouveaux terminaux comme les téléphones mobiles ou les téléviseurs
connectés ? Des constructeurs de téléviseurs scellent des accords avec
des fournisseurs de contenus audiovisuels qui prévoient parfois des
clauses d’exclusivités, privant les utilisateurs d’un accès complet à
Internet.
Sans doute faut-il légiférer sans tarder. Le monde virtuel évolue aussi
vite que son miroir réel et l’univers n’y est pas moins impitoyable.
Mais toute réglementation devra avant tout inscrire dans la loi, voire
dans la constitution, le principe de neutralité. Le reste ne sera
qu’exception et devra trouver le juste équilibre entre respect des
droits fondamentaux et liberté indispensable à l’innovation et à
l’expression, via par exemple, un scanning permanent mené par un
observatoire de la neutralité d’Internet. En n’oubliant pas que si deux
milliards d’êtres humains sont aujourd’hui connectés, cinq milliards
d’autres personnes n’ont pas la chance de partager et d’enrichir les
savoirs de l’humanité.
1. Propositions
de loi du 17 mai 2011, déposée par Valérie Déom et consorts, et du 1er
juin 2011, déposée par Jef Van den Bergh et consorts, modifiant la loi
du 13 juin 2005, « relative aux communications électroniques en vue de
garantir la neutralité des réseaux ».
2. «La neutralité de l’Internet. Un atout pour le développement de
l’économie numérique», rapport du Gouvernement français au Parlement, 16
juillet 2010, p.5
3. Voir à ce sujet Périne Brotcorne, «Fracture numérique : lutter contre l’e-pauvreté», dans Démocratie, 01/09/2009.
4. ARCEP, communiqué du 30 septembre 2010, « Dix propositions et
recommandations pour promouvoir un Internet neutre et de qualité.»
5. Plusieurs organisations de la société civile ont lancé une
plate-forme en ligne permettant aux citoyens de mettre en évidence les
restrictions d’accès imposées par les opérateurs: «RespectMyNet.eu».
6. «La neutralité de l’Internet...», op. cit., p. 13.
7. KPN, la compagnie néerlandaise de télécommunications voulait
surfacturer l’accès à Skype, ce qui a motivé une des premières lois
protégeant les principes de neutralité de l’Internet en Europe, selon le
rapport CESE 1608/2011.
8. Comme les DIP, (Inspection des Paquets en Profondeur), qui servent notamment à détecter les spams.
9.Le BEREC, qui rassemble les régulateurs télécoms des pays de l’Union,
analyse les pratiques des opérateurs de réseau afin de recommander à la
Commission son action future. Ses résultats préliminaires révèlent
l’ampleur du problème.
10. Selon une étude de Yahoo d’avril 2010.
11. Selon une étude d’AT Internet Institute de février 2009.
mardi 22 mai 2012
De vrais romans (pour apprendre) à lire
Voici trois romans, «Sans dire un mot» de Xavier Deutcsh, «L’attente» d’Amandine Fairon et «Les cerises de Salomon» de Claude Raucy, qui racontent des histoires fort différentes les unes des autres, mais qui ont pourtant bien des points en commun. Ils sont les oeuvres d’auteurs belges, lancent la nouvelle collection «La Traversée» des Éditions Weyrich et sont porteurs de bien des espoirs. Non pas qu’ils véhiculent des messages plus forts, universels et bouleversants que d’autres, mais parce qu’ils s’adressent à un public généralement délaissé par la littérature: les adultes en apprentissage de lecture et d’écriture.
Sollicités par «Lire et Ecrire Luxembourg» et les Éditions Weyrich, les trois auteurs précités ont confronté leur talent aux attentes, aux questions et aussi aux limites exprimées par un comité de lecture composé d’anciens analphabètes. Ils ont, surtout, accepté de tenir compte des remarques formulées; ils ont raccourci leurs phrases, simplifié leur vocabulaire, renoncé à certaines figures de style. Bref, ils ont fait oeuvre de grande modestie et de profond respect. Leurs trois romans ont été présentés à la Foire du Livre de Bruxelles début mars dernier, sans étiquette particulière. Car ces ouvrages ne sont pas réservés aux apprenants. Simplement, ils permettent à ces derniers de parfaire leur apprentissage de la lecture ailleurs que dans les livres pour enfants. Ce sont aussi de vrais romans, traitant de sujets intéressants, mais avec des mots plus simples, des phrases plus courtes, des chapitres plus brefs et des caractères plus grands. Quelques nuances donc, que les lecteurs habituels ne percevront peut-être même pas, comme en témoigne Amandine Fairon, mais qui pour les apprenants changent tout. Trois autres romans devraient être publiés l’an prochain, pour des apprenants moins avancés. Trois autres verront le jour en 2014. C’est en tout cas ce qu’on souhaite à cette très belle initiative.
Les ouvrages sont vendus au prix de 7,90 euros chacun. Infos: 061/27 94 30 - www.weyrich-edition.be.
samedi 19 mai 2012
Un "vrai travail"
Nous étions le 2 mai au petit matin. Je m’étais levé très tôt et je m’étais aussitôt connecté à mon réseau social préféré. Un ami français venait de publier une actualité qui me fit d’abord sourire: «Je ne sais pas si j’ai un vrai travail, écrivait-il, mais une chose est sûre, il est temps d’y aller...».
Je savais qu’à cette heure-là il était déjà en route pour l’atelier, où il allait rester debout pendant huit longues heures, derrière une machine vibrante et bruyante, pour un salaire minimum pas si garanti que ça. Je me dis que mon ami français ne manquait pas d’humour. Lui qui avait travaillé à la chaîne pendant des années, puis repris des formations pour adultes pendant deux ans et bouffé autant de vaches enragées avant de trouver enfin cet emploi «rêvé»... C’est lui, pensais-je, que Nicolas Sarkozy aurait dû inviter le 1er mai au Trocadéro à sa «vraie fête» du «vrai travail».
C’est alors que m’a pris l’envie d’en savoir plus sur le «vrai travail» version président sortant. En surfant sur le net, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul. Des journalistes de l’excellent site d’information «Rue 89» avaient baladé une caméra au Trocadéro et demandé aux UMP ce qu’était, selon eux, «le faux travail». Question pertinente, à laquelle une dame très chic leur a répondu que c’est «les syndicats» et «ces gens qui profitent du RSA pour dormir». Cette dame très comme il faut parlait en connaissance de cause puisque lorsqu’on lui a demandé quel emploi elle exerce, elle a expliqué qu’elle travaille le verre et fait de la peinture sur toile. Mon ami français aussi fait de la peinture sur toile, mais uniquement après 20h ou le dimanche, quand il en a encore la force. C’est vraiment lui que Nicolas Sarkozy aurait dû inviter le 1er mai. Mais il aurait décliné l’invitation...
C’est alors que m’a pris l’envie d’en savoir plus sur le «vrai travail» version président sortant. En surfant sur le net, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul. Des journalistes de l’excellent site d’information «Rue 89» avaient baladé une caméra au Trocadéro et demandé aux UMP ce qu’était, selon eux, «le faux travail». Question pertinente, à laquelle une dame très chic leur a répondu que c’est «les syndicats» et «ces gens qui profitent du RSA pour dormir». Cette dame très comme il faut parlait en connaissance de cause puisque lorsqu’on lui a demandé quel emploi elle exerce, elle a expliqué qu’elle travaille le verre et fait de la peinture sur toile. Mon ami français aussi fait de la peinture sur toile, mais uniquement après 20h ou le dimanche, quand il en a encore la force. C’est vraiment lui que Nicolas Sarkozy aurait dû inviter le 1er mai. Mais il aurait décliné l’invitation...
mercredi 18 avril 2012
"Ne comptez pas sur un Allemand pour faire une publicité subtile"
En ardent défenseur du service public, il m’arrive de surfer
entre les tunnels publicitaires pour tenter d’écouter les émissions
d’information et de divertissement de La Première radio. Un exercice
volontariste à certaines heures, il faut bien le dire. Dernier exploit en date: ce matin même...
Pour parvenir à boucler le Tour d’Europe des quotidiens, une revue de presse qui a le mérite d’offrir
un peu de recul, il m’a fallu traverser une succession de pubs aussi criardes
qu’agaçantes à force de véhiculer les poncifs de la société de consommation,
quand ce ne sont pas des stéréotypes limite racistes. «Ne comptez pas sur un
Allemand pour faire une publicité subtile», nous conseille le constructeur Opel
plusieurs fois par heure. Ben non tiens !
On peut sûrement compter sur un Allemand pour construire une voiture solide,
comme on peut se fier à un Suisse pour être à l’heure, ou attendre d’un noir
qu’il soit en retard... Mais là, je dépasse les frontières du politiquement
correct. Car si depuis soixante ans l’Europe peut rire des Allemands, comme
depuis trop longtemps les Français s’amusent des p’tits Belges et depuis
toujours les Juifs se moquent d’eux-mêmes, il y a des limites... Par exemple,
il est désormais strictement interdit de ricaner du miracle économique
allemand. Productivité, croissance, taux de chômage, le refrain est connu à
travers l’Europe qui n’a de cesse de l’entonner. Il n’y a que dans la bonne
ville de Bochum que la rengaine sonne faux, comme nous l’apprenait ce matin le
fameux Tour d’Europe de la presse. C’est qu’Opel, le principal pourvoyeur
d’emplois de Bochum, a renoncé à investir en Rhénanie-du-Nord-Westphalie pour
mieux se déployer... en Corée. Pas très subtil, en effet... et finalement pas
si solide que ça non plus.
mercredi 11 avril 2012
Informer, c’est aussi pouvoir renoncer
Nous sommes nombreux à avoir coupé le son au lendemain du
drame de Sierre. Ou à en avoir eu la tentation. Éteindre la télé, refermer le
journal. Car au-delà de l’émotion suscitée par la mort de vingt-deux enfants et
de six adultes, comment ne pas être choqué par certaines pratiques médiatiques?
Des journalistes qui harcèlent des témoins de l’accident de car et les familles
des victimes. Des équipes télé qui escaladent les murs de l’école Sint-Lambertus
d’Heverlee. Des reporters qui forcent la porte d’une chambre d’hôpital en
Suisse. Et, nouveauté, des photos volées sur internet pour être publiées en « une »
de journaux. Aucune émotion ne justifie de tels débordements. Et c’est lui
manquer de respect de décréter a priori que le public demande des éditions
spéciales débordant d’images choc, mais dépourvues d’informations pertinentes.
Ces excès sont davantage motivés par la recherche de l’info exclusive et la
terrible concurrence entre médias que par le souci d’informer. À l’occasion du
jour de deuil national, que certains voulaient voir comme une réconciliation
nationale, les radios et télévisions francophones s’étaient accordées pour
renoncer à toute publicité sur leurs antennes.
Un dessin de Pierre Kroll que j'avais trouvé digne et fort |
mardi 10 avril 2012
Mieux vaut brasser de la bière que des idées
Didier Bellens, le patron de Belgacom, a donc gagné 2,6 millions d’euros bruts en 2011. Un scandale! Unanimement dénoncé d’ailleurs par la classe politique belge. Ces petits gauchistes d’Ecolos ont rappelé qu’ils réclament depuis longtemps « des mesures fortes pour limiter les rémunérations et les avantages accordés aux patrons ». Le parti socialiste, en charge des entreprises publiques et auquel est d’ailleurs apparenté le CEO de Belgacom, a resservi sans sourciller ses anciennes propositions de lois visant notamment à ce que le salaire le plus élevé ne soit pas plus de 20 fois supérieur au salaire médian. Même le MR s’y est mis, estimant qu’il « n’est pas acceptable moralement et éthiquement, qu’un patron d’une entreprise publique, qui reçoit donc de l’argent du contribuable, touche un salaire 10 fois plus élevé que celui du Premier ministre ». Et la ministre MR des Classes moyennes a ajouté sur les ondes de La Première qu’avant de toucher aux salaires des patrons d’entreprises privées, il faut que les responsables d’entreprises publiques montrent l’exemple.
Mais c’est bien sûr ! Car en 2011, pendant que le patron de Belgacom accumulait près de 3 millions d’euros, celui de Volkswagen, l’Allemand Martin Winterkorn, ne gagnait que 17 malheureux petits millions et le boss du géant brassicole AB-Inbev, le Brésilien Carlos Britto, en grattait péniblement 135 millions de rien du tout... Résumons-nous : si Elio Di Rupo gagne 10 fois moins que Didier Bellens, lequel gagne 52 fois moins que Carlos Britto, le Premier ministre belge touche donc 520 fois moins que le patron d’AB-Inbev. Une chose est sûre, à ce tarif-là, il vaut mieux brasser de la bière que des idées. Et ce n’est pas Sabine Laruelle qui me contredira...
Mais c’est bien sûr ! Car en 2011, pendant que le patron de Belgacom accumulait près de 3 millions d’euros, celui de Volkswagen, l’Allemand Martin Winterkorn, ne gagnait que 17 malheureux petits millions et le boss du géant brassicole AB-Inbev, le Brésilien Carlos Britto, en grattait péniblement 135 millions de rien du tout... Résumons-nous : si Elio Di Rupo gagne 10 fois moins que Didier Bellens, lequel gagne 52 fois moins que Carlos Britto, le Premier ministre belge touche donc 520 fois moins que le patron d’AB-Inbev. Une chose est sûre, à ce tarif-là, il vaut mieux brasser de la bière que des idées. Et ce n’est pas Sabine Laruelle qui me contredira...
mercredi 4 avril 2012
"Pourquoi Jean-Michel Aphatie ne s’offrirait-il pas un stage avec de vrais journalistes de terrain?"
Ainsi donc le fils d'Eva Joly a remis à sa place Jean-Michel Aphatie, le chroniqueur politique de canal + et d'RTL, en lui suggérant un stage "avec de vrais journalistes de terrain"... Quel B.O.N.H.E.U.R.! Je n'ai rien, a priori contre Aphatie, ni contre les chroniqueurs politiques, parisiens ou non. Dans la mesure où ils font leur boulot. Mais est-ce du journalisme, même politique, d'annoncer en primeur que la candidate d'Europe Ecologie est hospitalisée, quand on en a été averti par pure politesse pour ne pas embarrasser une émission du lendemain et qu'on ne prend même pas le peine de vérifier l'information? Non, évidemment. Ce n'est pas du journalisme digne de ce nom, ce n'est même pas de la presse de caniveau, c'est juste indécent et anti-déontologique. Et qu'on relaie l'info sur un tweet, dans une gazette, sur les ondes d'une radio on les antennes d'une télé n'y change rien. Le journalisme est le même sur tous les supports, la déontologie ne souffre aucune exception. C'est à ce prix que le métier d'informer gardera ses lettres de noblesse et que la société dans son ensemble sera mieux armée pour rester distante, critique, indépendante, démocratique avec le beau projet émancipateur que cela implique. Or le pathétique épisode Aphatie, comme tant d'autres ces derniers mois, ces dernières années, est juste révélateur de la tendance inverse. L'info pertinente n'est plus celle qui résulte d'un travail d'enquête et qui nourrit une lecture pertinente des enjeux du vivre ensemble, elle est celle qui fera un buzz, des clics sur internet, des ventes, du bruit, du vent. Le danger n'est pas anodin, avec les nouvelles technologies et l'apogée d'une société du spectacle comme la prédisaient les situationnistes, de voire les règles s'étioler, la déontologie piétinée, l'info défigurée, la dignité humaine dégradée. C'est d'autant moins anodin que c'est sur ces bases là, sur ces ruines là plutôt, que se construisent et grandissent les totalitarismes. Que les donneurs de leçons des salons parisiens y pensent aujourd'hui, pour que demain ils puissent poursuivre leur travail de critique légitime sans avoir à le justifier.
mercredi 28 mars 2012
RTBF, le désamour?
Depuis début mars, les membres de la commission culture du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles auditionnent les acteurs du paysage audiovisuel. Leur motivation? Adopter des recommandations en vue de la négociation du nouveau contrat de gestion que la ministre de l’Audiovisuel doit conclure avec la RTBF d’ici la fin de l’année. Mais certains n’ont pas attendu cet exercice «démocratique» pour faire valoir leur point de vue. Le premier à ouvrir le feu fut le Conseil de la jeunesse. En septembre dernier, il rendait un avis d’initiative, réclamant notamment plus d’émissions pour jeunes ou d’éducation aux médias et l’interdiction des «placements de produits», technique publicitaire (sur)abondante dans «The Voice», par exemple. Quelques mois plus tard, Bernard Hennebert tire une deuxième salve en direction du boulevard Reyers, dans un ouvrage intitulé «RTBF, le désamour». Le fondateur de feu l’Association des téléspectateurs actifs (ATA) n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà consacré trois ouvrages à la radio télévision de service public. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a de la suite dans les idées, jusqu’à pratiquer l’autocitation avec un rien d’agaçante complaisance. Reste que ses constats interpellent.
Côté programmes, il déplore la disparition sans remplacement de certaines émissions de service aux consommateurs, de reportages ou médiation et dénonce le renvoi soit à des heures trop tardives soit sur la trop confidentielle troisième chaîne d’émissions culturelles ou à destination des jeunes. Côté pub, il s’inquiète de son emprise croissante sur les ondes et les antennes de la RTBF, que ce soit par le volume ou par l’évolution des techniques utilisées. Bernard Hennebert termine son ouvrage par dix propositions, allant de l’ouverture du CA à la société civile (et donc à lui?), jusqu’à la disparition d’ARTE Belgique (trop chère) ou la diminution de la pub (en commençant par la suppression du placement de produits). Des pistes à discuter, certes, mais qui ont le mérite d’éclairer un débat dont le public doit pouvoir se saisir faute d’être directement consulté...
Bernard Hennebert, «RTBF, le désamour. Constats et pistes d’évolution», Éditions Couleur Livres,2012.
mardi 13 mars 2012
Ruth, René, Fred, Berny... au bout du fil
J'ai passé ma soirée à "nettoyer" mon ancien smartphone. J'avais décidé de le donner à ma chère M. dont le téléphone portable rend l'onde. Il me fallait donc effacer mes contacts, déconnecter mes boîtes mails et surtout supprimer mes vieux sms. Vaste entreprise, car je voulais faire le tri. Certains messages me tenaient à coeur. J'avais l'intention de les sauvegarder comme on range sous un ruban de soie des lettres au cachet défait, au parfum éventé...
Je m'étais calé devant la télé et me faisais presqu'un plaisir à l'idée de remonter le temps, de faire défiler à l'envers tant de souvenirs déjà effacés de ma mémoire trop défaillante. Le plaisir fut de courte durée.
Je m'étais calé devant la télé et me faisais presqu'un plaisir à l'idée de remonter le temps, de faire défiler à l'envers tant de souvenirs déjà effacés de ma mémoire trop défaillante. Le plaisir fut de courte durée.
L'un des premiers contacts que je fus amené à supprimer était celui de Ruth A., ma grand-tante, décédée à quelques jours des 90 printemps qu'elle espérait tant fêter en famille à l'hôtel restaurant Lamm près de Waiblingen. Puis, au moment de transférer les photos sur mon ordinateur, je suis retombé sur quelques clichés volés lors de la mise en terre de mon oncle René dans ce si beau cimetière de Bruxelles où l'on a juste envie de s'asseoir comme sur les prés d'herbe fraîche. Et lorsque j'en vins aux sms, je me rendis compte que, inconsciemment, c'étaient ceux de Berny et de Fred que je voulais conserver, avant tout. Leurs derniers mots, légers ou graves, sans-doute abrégés, tapotés à la hâte sur un clavier simplifié, comme s'ils venaient de me les envoyer. Ce "vieux" smartphone avait à peine plus de deux ans et sa froide mémoire avait déjà vu s'effacer quatre de mes contacts parmi les plus chers. J'en fus glacé.
En l'espace de quelques instants, j'ai vu défiler les images de leurs funérailles, si récentes. Ce fut comme un apaisement, pourtant. J'ai eu la chance, pensai-je, de leur rendre un dernier hommage, d'arrêter mon temps pour honorer le leur. Et saluer au passage ce père que je n'ai pas pu mettre en bière autrefois. J'ai eu la chance, surtout, de mesurer l'amour qui les a accompagnés jusqu'au bout.
Je revois cette chapelle froide et claire au milieu de cimetière de Waiblingen. Le carrelage trop ciré, les pas trop mesurés, les larmes retenues, mais tant de bonté de ces personnes inconnues, ces compagnons de passages et de prière. J'entends encore, obsédant comme le ressac des vagues, l'hommage à Ostende de Ferré entonné par quelques amis comédiens et musiciens dans le cimetière de Bruxelles. Un concert improvisé entre les tombes, René aurait adoré. Je salue, avec infiniment de respect, le si fort et généreux sourire de la maman et de la soeur de Fred, accueillant comme un cadeau la belle et fragile C. que Fred avait tant aimée au crématorium d'Uccle. Je me souviens de cette église grise et bondée dans la Marais où le frère de Berny s'excusa presque de découvrir si tard la "vraie" famille du petit dernier parti si loin de Loyers, parti si tôt de nos vies.
Je revois cette chapelle froide et claire au milieu de cimetière de Waiblingen. Le carrelage trop ciré, les pas trop mesurés, les larmes retenues, mais tant de bonté de ces personnes inconnues, ces compagnons de passages et de prière. J'entends encore, obsédant comme le ressac des vagues, l'hommage à Ostende de Ferré entonné par quelques amis comédiens et musiciens dans le cimetière de Bruxelles. Un concert improvisé entre les tombes, René aurait adoré. Je salue, avec infiniment de respect, le si fort et généreux sourire de la maman et de la soeur de Fred, accueillant comme un cadeau la belle et fragile C. que Fred avait tant aimée au crématorium d'Uccle. Je me souviens de cette église grise et bondée dans la Marais où le frère de Berny s'excusa presque de découvrir si tard la "vraie" famille du petit dernier parti si loin de Loyers, parti si tôt de nos vies.
J'ai fini par réinitialiser ce fichu téléphone. Je sais que M. l'utilisera moins pour relever ses mails professionnels que pour prendre des nouvelles de ses deux petits fils. Et j'en suis heureux. Comme je suis heureux d'avoir eu la chance de vous connaître, Liebe Tante Ruth, René, Fred, mon beau Benry, même si je vous ai si mal aimés, j'en ai peur.
jeudi 8 mars 2012
Chaque jour devrait être journée de la femme...
Mars avait commencé sous quelques rayons de soleil prometteurs, mais s’était vite ratatiné face à une nouvelle offensive hivernale mêlant neige et grisaille. C’est par un de ces matins frileux qu’une proche collègue de travail me fit remarquer comme un reproche – si, si – qu’une fois de plus que je n'avais pas consacré une ligne à la journée internationale de la femme, le 8 mars... J’alignai quelques arguments douteux, de mauvaise foi, voire carrément machistes, avant de me réfugier dans un silence mi-studieux mi-honteux. Cela valait mieux, me dis-je, attendant des jours meilleurs. Mais il semblait écrit que je ne m’en tirerais pas à si bon compte ce jour-là... Henri Goldman ne trouva pas meilleure date pour envoyer la dernière chronique qu’il venait de publier sur le blog de la revue «Politique» (http://blogs.politique.eu.org). Un texte intitulé «Le foulard et la barbe, une hypothèse». Et une hypothèse selon laquelle, pour faire très simple, nos sociétés occidentales s’acharnent contre le foulard islamique alors que personne n’ose s’attaquer à son «double masculin»: la barbe. L’auteur y voit la marque de la domination masculine – et nettement sexuée – sur l’espace public. La preuve en est selon lui que les femmes plus âgées portant le voile ne dérangent personne alors que les plus jeunes jettent le trouble derrière ce foulard qui apparaît comme un rempart aux désirs des hommes. Nombre de femmes lui sauront gré de mettre à jour les relents machistes que renferment trop de propos soi-disant émancipateurs. Mais aucune, j’en suis sûr, ne se satisfera de cette citation en forme de pirouette pour excuser mon oubli. Et dire que chaque jour devrait être journée de la femme...
mardi 28 février 2012
De si bons témoins
Le film que je regardais ce soir, au lieu de lire cet ouvrage sur la RTBF, c'est "Les témoins", d'André Téchiné. Je suis tombé dessus par hasard, sur la Deux, parce qu'il y avait Michel Blanc et que la Une était toute absorbée par la première retransmission en direct de "The Voice". Je n'avais même pas noté que le film était de Téchiné. Mais j'ai tout de suite accroché.
J'ai vite compris qu'il était question des premières années du sida. Et puis, il y avait les beaux yeux d'Emmanuelle Béart, et la belle gueule de Sami Bouajila, et puis un ton juste, et puis un rythme, et puis des vies, des gens sincères dans leurs contradictions, leurs lâchetés, leurs désirs; que des gens généreux qui essaient de vivre et ça fait mal. Bref, c'est con, mais au bout d'une demi heure, j'ai commencé à pleurer, sans doute parce que je savais déjà la fin, puis que j'ai pensé à Berny, puis que j'ai pensé à nos vies, à cette maladie qui nous pourrit tout depuis plus de trente ans, à nos difficultés à aimer, à nos envies de vouloir tout, tout de suite, à nos peurs, à nos infidélités, à nos égoïsmes aussi. Bref, je me suis dit que c'est pas tout d'être critique vis à vis des homos égoïstes, jeunistes, consuméristes, nihilistes, faishonistes et surtout insupportables. J'ai pensé que c'est bien, aussi, de se rappeler qui on est et ce qu'on surmonte et qu'aujourd'hui encore c'est difficile d'être différent, surtout lorsqu'il s'agit d'une différence aussi intime que la nôtre. Et c'est juste à ce moment là que j'ai eu envie de te prendre dans mes bras.
J'ai vite compris qu'il était question des premières années du sida. Et puis, il y avait les beaux yeux d'Emmanuelle Béart, et la belle gueule de Sami Bouajila, et puis un ton juste, et puis un rythme, et puis des vies, des gens sincères dans leurs contradictions, leurs lâchetés, leurs désirs; que des gens généreux qui essaient de vivre et ça fait mal. Bref, c'est con, mais au bout d'une demi heure, j'ai commencé à pleurer, sans doute parce que je savais déjà la fin, puis que j'ai pensé à Berny, puis que j'ai pensé à nos vies, à cette maladie qui nous pourrit tout depuis plus de trente ans, à nos difficultés à aimer, à nos envies de vouloir tout, tout de suite, à nos peurs, à nos infidélités, à nos égoïsmes aussi. Bref, je me suis dit que c'est pas tout d'être critique vis à vis des homos égoïstes, jeunistes, consuméristes, nihilistes, faishonistes et surtout insupportables. J'ai pensé que c'est bien, aussi, de se rappeler qui on est et ce qu'on surmonte et qu'aujourd'hui encore c'est difficile d'être différent, surtout lorsqu'il s'agit d'une différence aussi intime que la nôtre. Et c'est juste à ce moment là que j'ai eu envie de te prendre dans mes bras.
vendredi 17 février 2012
Bêtise, aveuglement ou… pire ?
Je m’étais récemment ému ici des vacheries que peuvent
s’envoyer au visage responsables politiques et autres humoristes à la mode. Au
risque de paraître obsessionnel, je dois avouer que je continue à m’interroger.
Il est vrai que la maison communale est fort accueillante... elle. |
samedi 4 février 2012
Et si Docteur House pouvait nous guérir?
C’est sûrement trop facile, mais une fois de plus je suis
choqué par les médias – je sais, ce terme générique ne veut pas dire grand
chose – et par l’incohérence à laquelle ils peuvent contribuer. Aujourd’hui, en
dehors du froid et de la neige qui paralysent le pays, le «buzz» comme on
dit, c’était ce téléspectateur qui a écrit à TF1 pour connaître l’adresse
du docteur House afin de pouvoir le consulter. C’est dingue, en effet. Comment
un pauvre garçon du fin fond de la France a-t-il pu prendre une fiction pour la
réalité ? On s’étonne, on rigole, on se file l’info sur Facebook et l’on
fait même tourner la copie du courrier du Monsieur à sa chaîne préférée. En
personne n’a pris soin de masquer son nom et son adresse. Et ce Monsieur
passera pour un con. Au village on ne manquera pas de le lui rappeler, avec toute
la cruauté que cela implique. En attendant, personne ne se demande pourquoi ce téléspectateur, qui souffre sûrement dans sa chair depuis trop longtemps, en est
arrivé à croire à un médecin de pacotille. Sans vouloir remette la médecine
traditionnelle en cause, je ne peux m'empêcher de me demander si ce
téléspectateur est très différent de toutes ces personnes bien pensantes qui se
rabattent sur un guérisseur, un rebouteux, un diseur de bonnes recettes toutes
faites après des mois ou des années de souffrances non calmées. Et pourquoi le
blâmer lui qui espère soigner un mal, alors que personne ne s’interroge sur ces
masses de jeunes qui rêvent, grâce à la même télévision, de devenir stars de la
chanson ou du cinéma, au risque de se ridiculiser face caméras? Ces jeunes qui entendent au fond mettre un terme à leur vide intérieur... Où est la
différence au fond ? La télé nous fait rêver, nous permet d’oublier nos
maux, de nous évader. Elle ne s’en cache pas. Pourquoi ce Monsieur devrait-il
être blâmé d’avoir cru, un instant, alors que tout était mis en place pour que
cela advienne, que Docteur House pourrait soulager ses souffrances ?
Heureux celui qui n’a jamais souffert. Plus heureux encore celui qui juge sans
réfléchir. Je n'ai rien à dire sur ceux qui font souffrir par plaisir. Mieux vaut ne pas en parler.
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