mardi 13 mars 2012

Ruth, René, Fred, Berny... au bout du fil

J'ai passé ma soirée à "nettoyer" mon ancien smartphone. J'avais décidé de le donner à ma chère M. dont le téléphone portable rend l'onde. Il me fallait donc effacer mes contacts, déconnecter mes boîtes mails et surtout supprimer mes vieux sms. Vaste entreprise, car je voulais faire le tri. Certains messages me tenaient à coeur. J'avais l'intention de les sauvegarder comme on range sous un ruban de soie des lettres au cachet défait, au parfum éventé...

Je m'étais calé devant la télé et me faisais presqu'un plaisir à l'idée de remonter le temps, de faire défiler à l'envers tant de souvenirs déjà effacés de ma mémoire trop défaillante. Le plaisir fut de courte durée.
L'un des premiers contacts que je fus amené à supprimer était celui de Ruth A., ma grand-tante, décédée à quelques jours des 90 printemps qu'elle espérait tant fêter en famille à l'hôtel restaurant Lamm près de Waiblingen. Puis, au moment de transférer les photos sur mon ordinateur, je suis retombé sur quelques clichés volés lors de la mise en terre de mon oncle René dans ce si beau cimetière de Bruxelles où l'on a juste envie de s'asseoir comme sur les prés d'herbe fraîche. Et lorsque j'en vins aux sms, je me rendis compte que, inconsciemment, c'étaient ceux de Berny et de Fred que je voulais conserver, avant tout. Leurs derniers mots, légers ou graves, sans-doute abrégés, tapotés à la hâte sur un clavier simplifié, comme s'ils venaient de me les envoyer. Ce "vieux" smartphone avait à peine plus de deux ans et sa froide mémoire avait déjà vu s'effacer quatre de mes contacts parmi les plus chers. J'en fus glacé.
En l'espace de quelques instants, j'ai vu défiler les images de leurs funérailles, si récentes. Ce fut comme un apaisement, pourtant. J'ai eu la chance, pensai-je, de leur rendre un dernier hommage, d'arrêter mon temps pour honorer le leur. Et saluer au passage ce père que je n'ai pas pu mettre en bière autrefois. J'ai eu la chance, surtout, de mesurer l'amour qui les a accompagnés jusqu'au bout.
Je revois cette chapelle froide et claire au milieu de cimetière de Waiblingen. Le carrelage trop ciré, les pas trop mesurés, les larmes retenues, mais tant de bonté de ces personnes inconnues, ces compagnons de passages et de prière. J'entends encore, obsédant comme le ressac des vagues, l'hommage à Ostende de Ferré entonné par quelques amis comédiens et musiciens dans le cimetière de Bruxelles. Un concert improvisé entre les tombes, René aurait adoré. Je salue, avec infiniment de respect, le si fort et généreux sourire de la maman et de la soeur de Fred, accueillant comme un cadeau la belle et fragile C. que Fred avait tant aimée au crématorium d'Uccle. Je me souviens de cette église grise et bondée dans la Marais où le frère de Berny s'excusa presque de découvrir si tard la "vraie" famille du petit dernier parti si loin de Loyers, parti si tôt de nos vies.
J'ai fini par réinitialiser ce fichu téléphone. Je sais que M. l'utilisera moins pour relever ses mails professionnels que pour prendre des nouvelles de ses deux petits fils. Et j'en suis heureux. Comme je suis heureux d'avoir eu la chance de vous connaître, Liebe Tante Ruth, René, Fred, mon beau Benry, même si je vous ai si mal aimés, j'en ai peur.