Nous sommes nombreux à avoir coupé le son au lendemain du
drame de Sierre. Ou à en avoir eu la tentation. Éteindre la télé, refermer le
journal. Car au-delà de l’émotion suscitée par la mort de vingt-deux enfants et
de six adultes, comment ne pas être choqué par certaines pratiques médiatiques?
Des journalistes qui harcèlent des témoins de l’accident de car et les familles
des victimes. Des équipes télé qui escaladent les murs de l’école Sint-Lambertus
d’Heverlee. Des reporters qui forcent la porte d’une chambre d’hôpital en
Suisse. Et, nouveauté, des photos volées sur internet pour être publiées en « une »
de journaux. Aucune émotion ne justifie de tels débordements. Et c’est lui
manquer de respect de décréter a priori que le public demande des éditions
spéciales débordant d’images choc, mais dépourvues d’informations pertinentes.
Ces excès sont davantage motivés par la recherche de l’info exclusive et la
terrible concurrence entre médias que par le souci d’informer. À l’occasion du
jour de deuil national, que certains voulaient voir comme une réconciliation
nationale, les radios et télévisions francophones s’étaient accordées pour
renoncer à toute publicité sur leurs antennes.
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Un dessin de Pierre Kroll que j'avais trouvé digne et fort |
Beau geste de solidarité… qui n’a pas empêché une chaîne de publier dans la foulée les
chiffres d’audience de ses éditions spéciales consacrées au drame. Ça en dit
long... Heureusement, au milieu de la tourmente médiatique, quelques voix se
sont élevées. Le Premier ministre a appelé la presse à respecter la sphère
privée des familles des victimes. La ministre flamande des Médias a dénoncé la
publication de photos volées des enfants et de leurs proches. Le Conseil de
déontologie journalistique a multiplié les prises de parole pour rappeler les
règles élémentaires du métier. L’Avenir a publié une double page intitulée «
Les
journalistes vont-ils trop loin
?
». Le Soir a consacré un chat
en ligne à la même question. Et nombre de chroniqueurs ont livré leurs
analyses, où il était généralement question de respect, de distance critique et
de valeur informative. La question a fait débat. Et on peut espérer que
certaines rédactions s’en empareront. Car il y a urgence. Avec les nouvelles
technologies, chaque internaute peut désormais s’improviser journaliste d’un
jour; relayer l’information, l’image, l’émotion. Cela n’en fait pas un
journaliste à part entière. La plus-value professionnelle, le garde-fou
déontologique, le devoir du métier d’informer ne consistent-ils pas à
sélectionner l’information
? Et donc à pouvoir renoncer à
certaines infos pour préserver intimité et dignité
? Décider de
ne pas publier les photos des victimes, ne pas programmer d’éditions spéciales
ou ramener un peu de distance au milieu de l’émotion étaient des démarches
journalistiques dignes de ce nom...