mercredi 11 avril 2012

Informer, c’est aussi pouvoir renoncer

Nous sommes nombreux à avoir coupé le son au lendemain du drame de Sierre. Ou à en avoir eu la tentation. Éteindre la télé, refermer le journal. Car au-delà de l’émotion suscitée par la mort de vingt-deux enfants et de six adultes, comment ne pas être choqué par certaines pratiques médiatiques? Des journalistes qui harcèlent des témoins de l’accident de car et les familles des victimes. Des équipes télé qui escaladent les murs de l’école Sint-Lambertus d’Heverlee. Des reporters qui forcent la porte d’une chambre d’hôpital en Suisse. Et, nouveauté, des photos volées sur internet pour être publiées en «une» de journaux. Aucune émotion ne justifie de tels débordements. Et c’est lui manquer de respect de décréter a priori que le public demande des éditions spéciales débordant d’images choc, mais dépourvues d’informations pertinentes. Ces excès sont davantage motivés par la recherche de l’info exclusive et la terrible concurrence entre médias que par le souci d’informer. À l’occasion du jour de deuil national, que certains voulaient voir comme une réconciliation nationale, les radios et télévisions francophones s’étaient accordées pour renoncer à toute publicité sur leurs antennes.
Un dessin de Pierre Kroll que j'avais trouvé digne et fort
Beau geste de solidarité…  qui n’a pas empêché une chaîne de publier dans la foulée les chiffres d’audience de ses éditions spéciales consacrées au drame. Ça en dit long... Heureusement, au milieu de la tourmente médiatique, quelques voix se sont élevées. Le Premier ministre a appelé la presse à respecter la sphère privée des familles des victimes. La ministre flamande des Médias a dénoncé la publication de photos volées des enfants et de leurs proches. Le Conseil de déontologie journalistique a multiplié les prises de parole pour rappeler les règles élémentaires du métier. L’Avenir a publié une double page intitulée «Les journalistes vont-ils trop loin?». Le Soir a consacré un chat en ligne à la même question. Et nombre de chroniqueurs ont livré leurs analyses, où il était généralement question de respect, de distance critique et de valeur informative. La question a fait débat. Et on peut espérer que certaines rédactions s’en empareront. Car il y a urgence. Avec les nouvelles technologies, chaque internaute peut désormais s’improviser journaliste d’un jour; relayer l’information, l’image, l’émotion. Cela n’en fait pas un journaliste à part entière. La plus-value professionnelle, le garde-fou déontologique, le devoir du métier d’informer ne consistent-ils pas à sélectionner l’information? Et donc à pouvoir renoncer à certaines infos pour préserver intimité et dignité? Décider de ne pas publier les photos des victimes, ne pas programmer d’éditions spéciales ou ramener un peu de distance au milieu de l’émotion étaient des démarches journalistiques dignes de ce nom...

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