mercredi 30 octobre 2013

Tant que l'on érigera le travail en valeur suprême et l'argent comme seule marque de réussite...

Certains jours, je me dis que je deviens vraiment un vieux con. Tellement con que je me demande comment je supporterai encore ce monde à 70 ou 80 ans, si j'arrive jusque là. Déjà, je ne peux plus encaisser les automobilistes qui déboitent sans clignotant; ceux qui qui se calent une fois pour toutes à 120 sur la bande du milieu; ceux qui remontent les files pour se rabattre au dernier moment, avec ou sans clignotant. Je m'énerve contre la musique et les pubs débiles qu'on déverse à gerbes continues dans ma salle de sport. Je fulmine contre les entraineurs qui ne s'adressent qu'aux jolies filles et vous nient la tronche. Je méprise les jeunes bodybuildés qui s'invectivent à travers la salle comme s'il n'y avait qu'eux et se tâtent les pectoraux hypertrophiés que je soupçonne inversement proportionnés à la somme de leurs neurones. Mais je ne parviens toujours pas à raffermir ma poitrine...
Et je deviens d'autant plus con que je ne trouve pas de remède à ma connerie, sinon le rêve d'aller finir mes jours à la montagne. D'autant plus illusoire que je n'en aurai bien sûr jamais les moyens, à force de jobs à durée déterminée et de salaires tout juste décents. Mais pourquoi la montagne? J'ai l'impression d'y être né, c'est presque vrai. C'est là, sans doute, que j'ai vécu les moments les plus intenses de mon existence. Depuis l'enfance, et sur une paire de skis depuis bientôt trois ans. Mais ça n'explique pas tout. La montagne, c'est aussi, à mes yeux, le règne du dépouillement. Un sommet, on le gravit avec ses jambes, une dose d'humilité et de bonnes chaussures, certes, mais bien rodées. On s'en fout du dernier cri. Une piste noire, ça se dévale avec un peu de folie, une boule dans le ventre, et une bonne paire de skis. Mais à cette vitesse, qui a le temps d'en noter la marque? Un sommet, comme une piste noire, une crête ou un lac glacé, ça reste - pour combien de temps encore? - une rencontre avec soi. Oh, je ne parle pas de se surpasser, de dépasser ses imites et ses peurs. Je me méfie de ces concepts de "team builders" qui ne voient que rentabilité. Je parle de cette capacité de s'émerveiller pour quelque chose qui n'a pas de prix. Quelque chose qui nous dépasse et nous grandit, au lieu de nous écraser. La beauté, quoi!
Pour moi, c'est juste l'inverse de ce monde où le vieux con que je suis ne se retrouve pas. Si les gens remontent les files dans leur BMW de société, s'ils roulent des mécaniques dans les salles de sport, s'ils ne rêvent que de célébrité et vêtements de marques, s'ils traitent les filles comme des paquets de viande, ce n'est pas tant qu'on ne leur a rien appris, certains ont même fait de brillantes études. C'est peut-être qu'on a oublié de les prendre pour des personnes, à force de les considérer comme des consommateurs juste bons à faire tourner un modèle qui ne profite qu'à quelques uns et laisse tous les autres, au mieux, dans l'illusion; au pire, dans la désolation.
J'entends partout, surtout à gauche, qu'il faut mettre le parquet sur l'enseignement. Et je lis, chez les mêmes, qu'il faut mettre la priorité sur l'emploi. Très bien, 25 ou 50% de jeunes au chômage c'est juste criminel. On est d'accord. Mais si l'on se contente de former des jeunes pour qu'ils trouvent de l'emploi, qu'aurons-nous gagné? D'autant qu'il n'y a pas assez d'emplois... Tant que l'on érigera le travail en valeur suprême, l'argent comme seule marque de réussite, la célébrité comme unique indice d'existence... je ne vois guère d'autre horizon que la montagne, dès lors que le sexe, et l'amour qui pourrait aller avec, deviennent aussi objets de consommation.
Mais en vieux con pas encore totalement sénile, je serais ravi d'avoir tort cette fois encore...


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