Et
dire qu’il y en a qui appellent ça «le printemps»! Bon, c’est vrai
que l’hiver a été long, et rigoureux. Faut le reconnaître. Et c’est vrai
que la jeunesse tient désormais le haut du pavé; toute fraîche éclose,
si propre sur elle, armée de bons sentiments, de smartphones, et
connectée aux réseaux sociaux. C’est vrai que cette jeunesse découvre
les joies de la transgression. C’est grisant, à vingt ans, de se
mobiliser: de battre le rappel des troupes, de scander des slogans, de
fabriquer des calicots, de s’indigner des soirées entières, de refaire
le monde et de se faire de nouveaux amis dans les manifs. C’est dingue
de planter des tentes en toute illégalité, puis de passer la nuit en
garde à vue et de s’en vanter ensuite. Et comme c’est exaltant ce
sentiment de construire dans la rue, et dans la fraternité, la
République de demain... On se sent devenir adulte. Citoyen, même. Pour
un peu, on se croirait revenu au joli mois de mai '68, lorsqu’un autre
monde était possible, teinté de fleurs, de musique et de grands lits. Il
est d’ailleurs beaucoup question d’amour dans les rangs des « manifs
pour tous »: amour des enfants, surtout, de la famille, toujours, de
Dieu, généralement. De l’autre ? Ça dépend... Mais qu’importe ! les
couleurs sont vives, les revendications fortes, l’ambiance bon-enfant.
Dans son refus du mariage homosexuel, la droite française a réussi le
pari de porter enfin des revendications «positives». Il s’agit moins de
manifester «contre» les gays que «pour» des valeurs prétendues
justes, voire généreuses. C’est cela, sans doute, qui a séduit tous ces
jeunes des beaux quartiers. Et qui est inquiétant... Où sont-ils, ces
mêmes jeunes qui sont notre avenir, ces jeunes instruits et décomplexés,
lorsqu’on tabasse des homos, lorsqu’on expulse des Roms, lorsqu’on
ferme des usines, lorsque tant d’autres jeunes se battent pour un
boulot, lorsqu’on exclut des familles du chômage, lorsqu’on exploite des
enfants qu’ils prétendent pourtant défendre? Pas dans la rue, en tout
cas. Le printemps est bien sombre cette année, ne trouvez-vous pas ?
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